Souvenir d'un officier de la grande armée
des feux d’artifices, des danses publiques et jeux de toute espèce. Les pauvres eurent aussi leur part dans ce gigantesque festin.
Nous venions d’être absent de Paris ou de Rueil un an, deux mois et cinq jours.
Durant plusieurs jours, les fêtes continuèrent. Le 26, tous les spectacles de la capitale furent ouverts à la Garde. On avait réservé pour elle le parterre, l’orchestre et les premières loges, ainsi que les premiers rangs des autres. Je fus du nombre de ceux qui furent désignés pour le grand Opéra. On joua le Triomphe de Trajan , pièce de circonstance et pleine d’allusions à la campagne qui venait de se terminer. La beauté du sujet, les brillantes décorations, la pompe des costumes et le gracieux des danses et du ballet m’enivrèrent de plaisir. Quand Trajan parut sur la scène, dans son char de triomphe, attelé de quatre chevaux blancs, on jeta du centre du théâtre des milliers de couronnes de laurier, dont tous les spectateurs se couronnèrent comme des Césars : ce fut une belle soirée et un beau spectacle.
Le 28, le Sénat conservateur nous donna ou voulut nous donner une superbe et brillante fête. Tout était disposé pour qu’elle fût digne du grand corps qui l’offrait, mais malheureusement le mauvais temps la rendit fort triste, et même désagréable. On avait élevé un temple à la Gloire, où toutes les victoires de la Grande Armée étaient rappelées sur des boucliers, entourés de couronnes de laurier et entremêlés de trophées qui réunissaient les armes des peuples vaincus ; des inscriptions évoquaient les grandes actions que la fête avait pour objet de célébrer ; des jeux de toute espèce, des orchestres et une infinité de buffets bien garnis remplissaient ce beau jardin. La neige qui tombait en abondance, l’humidité du sol et le froid noir de l’automne glacèrent nos cœurs, nos estomacs et nos jambes. Beaucoup de militaires demandèrent à se retirer, mais les grilles étaient fermées ; il fallut parlementer avec le Sénat ; tout cela entraînait des longueurs qui irritaient. Enfin, la menace d’escalader les murs s’étant répandue, la consigne fut levée, les portes ouvertes et tous les vieux de la Garde s’échappèrent comme des prisonniers qui recouvrent la liberté. Il n’y resta, je crois, que les fusiliers et ceux qui, n’ayant pas d’argent pour dîner en ville, trouvaient qu’il valait encore mieux manger un dîner froid que de ne pas dîner du tout. Ils durent s’en donner, car il y avait de quoi et du bon. Les officiers étaient traités dans le palais. Je fus, avec plusieurs de mes camarades, dîner chez Véry, ensuite au Français.
Peu après, l’Impératrice nous donna à dîner à la caserne, par escouade : c’était l’ordinaire, mais considérablement augmenté, et arrosé d’une bouteille de vin de Beaune par homme.
Enfin, le 19 décembre, la Garde nous donna une grande fête à la ville de Paris. Elle eut lieu le soir, dans le Champ de Mars et le palais de l’École militaire ; les apprêts furent longs, parce qu’ils furent grandioses et tout militaires. Dans la vaste enceinte du Champ de Mars, on avait placé, sur des fûts de colonnes, des vases remplis de matières inflammables, ou des aigles avec des foudres ailés remplis d’artifices. Les vases et les aigles alternaient et se communiquaient par un dragon volant, qui devait les embraser tous en même temps. Au-dessous des aigles étaient les numéros des régiments qui formaient la brigade, avec le nom du général qui la commandait, et sous les pots à feu, les noms d’une affaire et du général de division qui y commandait les deux brigades. Au milieu, une immense carte géographique du nord de l’Europe faisait voir en lettres énormes les principales villes et le lieu de nos grandes batailles ; et le chemin suivi par la Grande Armée, dans les campagnes de 1805, 1806 et 1807, était tracé par des étoiles blanches sous lesquelles, ainsi que sous le nom des villes, il y avait un feu gras coloré, qui devait brûler, pendant que l’artifice qui entourait la carte serait lui-même en feu. Au-dessus de la carte, on voyait des Victoires ailées aussi garnies d’artifices, etc.
La Garde à pied se rendit en armes dans cette enceinte, pour faire l’exercice à feu avec des projectiles d’artifice. Quand la nuit fut tout à fait close, l’Impératrice mit le feu à un dragon volant qui, au même instant, le communiqua à toutes les
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