Souvenir d'un officier de la grande armée
le résultat. Quant à vous, vous êtes maintenant officier ; je vous dispense de tout service, jusqu’au moment de votre départ. » Ma nomination était du 13 juillet, datée de Kœnigsberg, pour le 16 ème régiment d’infanterie légère.
Je rentrai tout joyeux à ma chambrée, où je reçus les félicitations de mes camarades et donnai de bon cœur un coup de pied à mon sac, qui m’avait tant pesé sur les épaules… J’entrai chez un coiffeur pour faire couper ma queue, ornement ridicule que l’infanterie de l’armée ne portait plus, excepté un ou deux régiments de la Garde. Quand je fus débarrassé de cette incommode coiffure, je me rendis chez un ami de mon père, pour lui faire part de mon changement de position et lui souhaiter une bonne année. Je dînai chez lui et ne rentrai au quartier qu’à dix heures du soir. Ainsi, dès le premier jour, je profitai des avantages de mon nouveau grade.
Je restai à Paris jusqu’au 6 février 1808 au soir. Je mis à profit avec délices les quelques jours de liberté que je me donnai, pour mieux connaître cette immense ville, passer les soirées aux spectacles et voir plus souvent quelques amis que j’y avais. Quel heureux changement je venais d’éprouver ! Il faut avoir fait trois campagnes et même quatre, le sac sur le dos, et avoir parcouru à pied la moitié de l’Europe, pour apprécier toute ma félicité. J’avais servi dans la Garde réellement trois ans, six mois et dix-sept jours.
Ma feuille de route me fut donnée, sur ma demande, le 2 février, pour Neuf-Brisach, dépôt du 16 ème léger, et ma place fut retenue le 5, pour partir le 7 au matin, aux Vélocifères de la rue du Bouloi.
DIX-NEUF MOIS EN FRANCE
De Neuf-Brisach, où il est très heureux, J.-B. Barrès en mai 1808 est brusquement envoyé à Rennes.
14 juin. – Pour gagner Rennes, j’eus trente-cinq jours de marche ou de séjours. Le voyage fut heureux, tranquille et sans incident, les hommes se conduisirent bien, mais je m’ennuyais beaucoup, à cause de mon isolement, surtout dans les lieux d’étape, où j’étais obligé de vivre et me promener seul.
Aussitôt arrivé à Rennes, je fis les visites d’usage, pour connaître les personnes avec qui je devais vivre. À mon âge, les rapports de bonnes relations s’établissent vite, surtout quand on est à peu près du même grade et qu’on a les mêmes années de service. Le soir du deuxième jour, j’étais comme en famille et me réjouissais du repos que j’allais prendre. Mais mon étoile ou les événements voulaient que tous ces projets ne fussent qu’illusoires. Le lendemain 16, on reçut l’ordre de faire partir, dans les vingt-quatre heures, toutes les troupes valides de la légion pour Napoléonville (Pontivy).
Je fus désigné pour être officier-payeur du bataillon, faire provisoirement les fonctions d’adjudant-major et prendre le commandement d’une compagnie. C’était beaucoup trop pour un jeune sous-lieutenant de quatre mois, mais je fus tellement pressé d’accepter par le chef de bataillon, le commandant du dépôt et le commissaire des guerres chargé de l’administration de la légion, que je me laissai accabler d’honneurs et d’ouvrage. Le chef de bataillon, M. Dove, sortait de la Garde, où je l’avais connu capitaine. Cette circonstance et quelque chose en moi qui lui plut me valurent cette préférence et la confiance qu’il m’accordait. Tout le restant de cette journée et une partie de la nuit furent employé à habiller et armer nos jeunes conscrits, établir les contrôles, faire la situation, les bon-comptes, toucher une quinzaine de solde, etc. La nuit fut pour moi une nuit de travail.
Le 3 juillet, je reçus l’ordre de partir le 4 avec tout mon bataillon, pour Belle-Île-en-Mer.
Le 6 juillet, arrivé à Quiberon, qui est un triste et sale village dans les terres, je vis pour la première fois la mer, dans toute son étendue, sa beauté et ses divers aspects. Je passai une partie de la soirée sur les bords, pour la contempler dans toute son immensité et étudier quelques-unes de ses merveilles et de ses productions.
Le lendemain 7, le détachement fut embarqué sur des chasse-marée, stationnés dans le port de Portaliguen, qui est à peu de distance du bourg de Quiberon. Quand on se fut assuré que le passage était libre, que la traversée pouvait se faire sans danger, la mer et la marée étant bonnes, on hissa les voiles et on mit le cap sur
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