Souvenir d'un officier de la grande armée
officiers. Pendant quatre jours, je m’occupai activement de la mission qui m’avait été confiée et que j’eus le bonheur de remplir complètement.
Le 10, au matin, j’avais expédié à Saint-Denis, où séjournait le bataillon, tous les effets commandés, qui satisfirent généralement.
Les officiers m’avaient chargé de leur faire préparer un bon dîner, pour le 9. Je commandai chez Grignon, restaurateur, rue Neuve-des-Petits-Champs, à un prix assez élevé pour que la plupart d’entre eux pussent dire que c’était le meilleur qu’ils eussent jamais fait. Il fut aussi gai que si on eût été en voyage pour une partie de plaisir, au lieu de l’être pour une campagne terrible, qui s’annonçait devoir être très meurtrière, vu la masse des combattants qui allaient se trouver en ligne. (À notre retour à Paris en 1816, seize mois après, la moitié au moins des convives de cette charmante et épicurienne soirée n’avaient plus revu leur patrie.)
Malgré mes nombreuses occupations, j’eus le temps de faire faire mon portrait au physionotrace.
Le bataillon arriva le 5 avril à Mayence. J’y passais pour la troisième fois.
Le 29 avril, dans l’après-midi, étant au bivouac, nous entendîmes le canon pour la première fois de cette campagne. Un jeune soldat du 6 ème , au bruit de cette canonnade, qui paraissait assez éloignée, fut prendre son fusil aux faisceaux, comme pour le nettoyer, et dit à ses camarades en s’éloignant : « Diable, voici déjà le brutal. Je ne l’entendrai pas longtemps. » Il fut se cacher derrière une haie et se fit sauter la cervelle. Cette action fut considérée comme un acte de folie, car elle était incompréhensible. Si cet homme craignait la mort, il se la donnait cependant. S’il ne la craignait pas, il devait attendre qu’elle lui arrivât, naturellement ou accidentellement.
Le 1 er mai, à notre arrivée au bivouac, nous vîmes passer un fourgon qu’on conduisait au grand galop à Weissenfels. Il contenait le corps du maréchal duc d’Istrie (Bessières), qui venait d’être traversé par un boulet sur les hauteurs situées en avant de nous. L’Empereur perdait en lui un fidèle ami, un vieux et brave compagnon d’armes. La mort de ce bon maréchal m’attrista douloureusement, car j’avais été longtemps sous ses ordres : il était doux et affable.
2 mai 1813. – Lutzen. On se mit en marche de grand matin, en suivant la route de Leipsick. Arrivée sur la hauteur et à l’entrée de la plaine de Lutzen, la division se forma en colonne à gauche de la route. À l’horizon, en avant de nous, on voyait la fumée des canons ennemis. Insensiblement, le bruit augmenta, se rapprocha et indiqua qu’on marchait vers nous. Pendant ce temps, les 2 ème et 3 ème divisions de notre corps d’armée arrivaient et se formaient en colonne derrière nous ; l’artillerie mettait ses prolonges et se préparait à faire feu. Toute la garde impériale, qui était derrière, se portait à marches forcées sur Lutzen, en suivant la chaussée.
Enfin, nous nous ébranlâmes, pour nous porter en avant ; notre division était à l’extrême droite. En colonne serrée, nous traversâmes la route et nous nous portâmes directement sur le village, à droite de Strasiedel. Nous laissions à notre gauche le monument élevé à la mémoire du grand Gustave-Adolphe, tué à cette place en 1632.
En avant de Strasiedel, nous fûmes salués par toute l’artillerie de la gauche de l’armée ennemie et horriblement mitraillés. Menacés par la cavalerie, nous passâmes de l’ordre en colonne en formation de carré, et nous reçûmes dans cette position des charges incessantes, que nous repoussâmes toujours avec succès. Dès le commencement de l’action, le colonel Henrion eut l’épaulette gauche emportée par un boulet et fut obligé de se retirer. Le commandant Fabre prit le commandement du régiment, et fut remplacé par un capitaine. En moins d’une demi-heure, moi, le cinquième capitaine du bataillon, je vis arriver mon tour de le commander.
Enfin, après trois heures et demie ou quatre heures de lutte opiniâtre, après avoir perdu la moitié de nos officiers et de nos soldats, vu démonter toutes nos pièces, sauter nos caissons, nous nous retirâmes en bon ordre au pas ordinaire, comme sur un terrain d’exercice, et fûmes prendre position derrière le village de Strasiedel, sans être serrés de trop près. Le chef de bataillon Fabre fut
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