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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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alternativement d’heure en heure. Tout cela fut reçu avec reconnaissance, car nous étions bien anéantis par la faim et la fatigue.
    21 mai. – Avant le jour, on prit les armes, et plus tard on se porta au pied des collines qui se trouvaient de l’autre côté du ruisseau, où nous nous étions arrêtés la veille au soir. Dans l’ignorance de ce qui se passait, nous attendions l’ordre de nous porter en avant pour poursuivre l’ennemi ; mais la détonation de plusieurs centaines de canons et la vive fusillade qui se firent entendre sur toute la ligne de l’armée nous apprirent que ce que nous avions fait la veille, n’était que le prologue d’un sanglant drame qui allait se jouer en avant de nous par 350 000 hommes conviés à cette représentation.
    L’Empereur étant arrivé, nous gravîmes sans résistance la colline qui était devant nous, et descendîmes dans la plaine opposée où nous vîmes l’armée russe couverte par des redoutes et des retranchements, dont tout son front était hérissé. Cette ligne retranchée se prolongeait, depuis les versants des montagnes de la Bohême, à gauche de l’ennemi, jusqu’à une ligne de mamelons à droite, perpendiculaire à la ligne de bataille. Notre corps d’armée était au centre ; il devait assez menacer la ligne retranchée ennemie pour donner à penser qu’on voulait la forcer, attirer toute son attention sur ce point et ainsi permettre aux corps d’armée, qui étaient aux extrémités, de la tourner et de faire tomber le front sans l’attaquer directement. À cet effet, plus de cent pièces de canons furent mises en batterie et tirèrent constamment, depuis neuf heures du matin, jusqu’à quatre heures du soir. Nous étions en carrés dans cette plaine, derrière les batteries, recevant tous les boulets qui leur étaient destinés. Nos rangs étaient ouverts, broyés, horriblement mutilés par cette masse incessante de projectiles qui nous arrivaient de ces diaboliques retranchements. Quelques giboulées de pluie qui obscurcissaient momentanément l’atmosphère nous laissaient quelques répits dont nous profitions pour nous coucher, mais ils étaient courts.
    Enfin, vers quatre ou cinq heures, l’ordre arriva d’enlever à la baïonnette ces formidables redoutes, dont le feu n’était pas encore entièrement éteint. On commençait à former les colonnes d’attaque, lorsque la canonnade cessa tout à coup : l’ennemi nous abandonnait le champ de bataille, et se retirait en ordre. Nous le serrâmes de près, pendant une heure ou deux, et nous nous arrêtâmes enfin, harassés, mourants de faim, mais fiers de notre triomphe.
    Je crois qu’il n’y a pas de plus beaux jours dans la vie que la soirée de celui où l’on vient de remporter une grande victoire. Si cette joie est un peu tempérée par les regrets que cause la perte de tant de bons et valeureux camarades, elle n’en est pas moins vive, enivrante. Nous nous réunîmes autour du général Joubert pour nous féliciter mutuellement du résultat de cette terrible journée. Une bouteille de rhum circula pour boire à la santé de l’Empereur. On était formé en cercle, et l’on causait gaiement, lorsqu’un boulet perdu arrive, en ricochant lentement, mais ayant encore assez de force pour couper un homme en deux, s’il l’eût rencontré. Prévenus à temps, nous l’évitâmes lestement, et personne ne fut atteint.
    J’eus vingt et un hommes tués ou blessés dans les deux journées. Les blessures étaient horribles.
    22 mai. – Nous prîmes position pour prendre part au combat de Reichenbach, qui eut lieu dans l’après-midi, mais nous ne donnâmes pas. Ce fut dans ce combat d’arrière-garde que le grand maréchal du palais Duroc, duc de Frioul, et le général du génie de la garde Kirgener furent tués par le même boulet. Le soir, à la lumière de notre bivouac, le commandant Fabre et moi, nous fîmes des mémoires de proposition, pour pourvoir aux places vacantes d’officiers et pour des décorations. Je n’oubliai pas d’y porter le sergent qui s’était si bien conduit à l’attaque de Bautzen, et un voltigeur que je choisis comme le plus méritant, parmi les douze qui restaient.
    26 mai. – L’ennemi voulut nous défendre le passage de la Katsbach, près de Wüdschüs, en nous envoyant des boulets. Je fus envoyé en tirailleur, pour les chasser de la rive gauche et les suivre dans leur mouvement de retraite. Après une fusillade assez vive, où

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