Souvenir d'un officier de la grande armée
ville à mes frais.
Le bataillon était parti depuis longtemps pour Almeida. Je me trouvai donc seul, à Rodrigo, avec un voltigeur qui sortait aussi de l’hôpital. Un des premiers jours de ma sortie, retenu au lit par la souffrance, je lui dis : « Tu m’as menacé un jour de me tuer, à la première occasion qui se présenterait ; tu m’en as menacé au Portugal, parce que j’exigeais que tu portes le fusil d’un camarade malade, eh bien ! tu peux le faire aujourd’hui sans crainte, car je ne me sens pas la force de me défendre. – Ah ! me répondit-il en rougissant, ce sont des choses que l’on dit, quand on est en colère, mais qu’on ne fait pas, à moins d’être un scélérat. »
J’avais entendu dire que le quinquina de première qualité, infusé dans du bon vin, était un excellent fébrifuge ; je me procurai l’un et l’autre, le jour même de ma sortie, et j’en fis immédiatement usage. Quelques jours après, je n’eus plus de fièvre, mais une très grande faiblesse que je ne pouvais pas réparer par une nourriture abondante et substantielle, crainte d’une rechute. Il n’y avait que le temps et beaucoup de ménagement qui pouvaient me rendre mes forces.
1 er janvier. – Le premier jour de l’an 1811, comme je revenais de passer la soirée chez un capitaine de mes amis, blessé, mon soldat me dit : « Il y a un officier couché dans votre lit. » Je le blâmai de l’avoir permis. Il s’excusa, en disant que ce capitaine était trop fatigué pour aller faire changer son billet de logement, qu’il partait le lendemain au jour, que c’était un jeune officier, propre dans son extérieur, enfin qu’il l’avait prié si poliment de lui permettre de coucher à mes côtés qu’il ne s’était pas senti le courage ni la volonté de l’en empêcher. Après y avoir réfléchi, sachant qu’il n’y avait que ce seul lit et cette seule chambre dans la maison, je pensai à moi en pareille circonstance. Je me mis au lit à côté de cet inconnu. Au jour, il se leva bien doucement pour ne pas me réveiller, mais ayant ouvert les yeux, je reconnus un officier du 16 ème léger avec qui j’avais servi, un bon camarade qui m’avait donné de grandes preuves de regrets, lorsque nous nous dîmes adieu à Belfort en 1808. Joie vive de part et d’autre, satisfaction de nous revoir, grâce à un hasard qui pourrait passer pour une rencontre de comédie.
Le 3 janvier, je me croyais assez bien rétabli pour pouvoir aller rejoindre ma compagnie ; mais la pluie et le froid de la journée me firent craindre le soir, à Galiégos, d’avoir encore commis une imprudence.
Le 4, quand je fus voir le capitaine à mon arrivée, à Almeida, il me dit : « Vous avez eu tort de venir, vous n’êtes pas encore rétabli. » Je l’assurai que je l’étais, mais mon physique et mes forces me démentaient.
Le lendemain, j’avais le délire ; on me porta dans un grenier qui servait d’hôpital. J’y restai trente-six jours entre la vie et la mort, sans connaissance, mais ayant conservé le sens de l’ouïe d’une manière remarquable. Aussi j’entendis, plusieurs matins de suite, le médecin dire : « Il n’y a plus de pouls, il n’en a pas pour longtemps. » Ou bien : « Il ne passera pas la journée. » J’en revins cependant, comme par miracle, tout le monde mourant autour de moi, grâce surtout à mon fort tempérament, car les soins et les remèdes qui me furent donnés furent trop insignifiants, s’ils ne furent pas mauvais. Pendant ma convalescence, le général Foy revint de Paris. Ayant su que j’étais à l’hôpital, il vint m’y voir. Cette bienveillante attention me toucha jusqu’aux larmes.
J’étais resté à Almeida ou à l’hôpital soixante-dix-huit jours, quand le 23 mars, le cadre du 4 ème bataillon, qui rentrait en France, vînt à passer. En faisant partie, je dus partir avec lui. Je n’en fus pas fâché, ma santé demeurait trop délabrée pour que je regrettasse de ne pas être d’un cadre actif.
Le 27, par Ciudad-Rodrigo, Samonios et Malitra, nous arrivions à Salamanque, où nous apprîmes la naissance du roi de Rome. Nous y restâmes jusqu’au 8 avril. Le 11 avril, nous approchions de Valladolid, quand je commis encore une imprudence qui aurait pu m’être funeste. À la halte de Valdesillas, je rencontrai plusieurs officiers de la garde impériale, que j’avais connu quand j’y servais. Ils m’invitèrent à déjeuner, ce que
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