Souvenir d'un officier de la grande armée
Ainsi se forme la patrie dans les âmes.
Et puis de tels Mémoires constituent un élément excellent, pour comprendre ce qu’est une famille française, pour suivre la courbe de l’esprit national et pour distinguer le vrai dessein politique de la France. Qu’y voyons-nous essentiellement ? Je le répète : un enfant du Plateau Central, arraché par la grande secousse révolutionnaire du gisement dont il faisait partie depuis des siècles, où tous les siens s’abritaient depuis la période gallo-romaine, et qui devient pour de longues années un défenseur de la France une et indivisible, jusqu’à ce que les événements l’amènent à se fixer aux confins même de la patrie qu’il a servie, dans cette Lorraine où il fait souche.
Dans mon esprit, cette publication, si le temps le permet, sera éclairée par d’autres, qui viendront ensuite la compléter. J’ai à commenter, avec mes souvenirs d’enfance, des lettres que je possède de mon père et de ma mère sur les Prussiens à Charmes, en 1870, et jusqu’au paiement des cinq milliards. Il se peut que mon fils, quelque jour, comme tant de camarades, raconte ses quatre années de la Grande Guerre, qu’il a terminées dans un bataillon de chasseurs du recrutement des Vosges.
De telles publications, à la fois glorieuses et communes, dont il n’est pas de famille française qui n’en puisse fournir de pareilles, rendent évidents et tangibles le péril éternel auquel la France est exposée et la nécessité de maintenir notre antique conception de l’honneur.
MAURICE BARRÈS.
Charmes, le 17 août 1922.
L’ABBÉ PIERRE-MAURICE BARRÈS
Il est question, à plusieurs reprises, dans ces Souvenirs , et dès leurs premières lignes, du frère aîné de J.-B. Barrès, mon grand-oncle Pierre-Maurice Barrès. C’est une figure intéressante et complexe, dont M. Ulysse Rouchon traçait, il y a peu, dans les Débats , un croquis attachant.
« Pierre-Maurice Barrès, disait-il, né à Blesle, le 22 septembre 1766, était l’un des derniers licenciés de l’antique Sorbonne. Il commença ses études sacerdotales au grand séminaire de Saint-Flour, et y reçut les ordres mineurs. Sous l’épiscopat constitutionnel de son compatriote Delcher, curé de Brioude, élu évêque de la Haute-Loire, le 28 février 1791, le jeune clerc, alors élevé au diaconat, vint au Puy, prêta serment, et fut chargé, en compagnie du cordelier Teyssier et de Bonnafox, curé de Lempdes, de la réorganisation du grand séminaire, abandonné par les sulpiciens insermentés.
« Les circonstances interrompirent le séjour de Barrès au grand séminaire, à la fin de 1792, époque à laquelle la direction de l’établissement fut remise aux vicaires épiscopaux. Il quitta alors l’habit ecclésiastique, et, à l’organisation de l’École centrale du Puy, il fut pourvu, au choix, par arrêté municipal du 3 frimaire an V, de la chaire de Belles-Lettres.
« Barrès fut un des professeurs les plus distingués et les plus dévoués de ce nouveau collège. On le trouve, le 10 germinal an VII, présidant un exercice d’éloquence et parlant sur le prix et les caractères de la vraie liberté ; le 2 floréal an VII, célébrant le centenaire de la mort de Racine…
« Le 15 fructidor an XII, les maîtres et les élèves de l’École centrale se séparaient, mais, depuis cinq ans, Pierre Barrès avait été appelé à des fonctions plus élevées. Lors de la création des préfectures, il avait été en effet désigné, par décret du 15 floréal an VIII, comme secrétaire général de la Haute-Loire.
« Pendant seize années, l’ancien professeur fut le collaborateur estimé de l’administration, et, sans exagération, l’on peut dire que ce fut lui qui supporta, presque à lui seul, tout le poids des affaires départementales. Doué d’une rare activité, il menait de front les travaux de sa fonction, les plaisirs, les relations mondaines. Les missions les plus délicates lui furent confiées à diverses reprises. En 1812, il alla soutenir à Paris les droits de la ville du Puy à un lycée ; en 1816, il fut envoyé à Lyon pour défendre auprès des Autrichiens les intérêts du département. Son habile intervention, dans le règlement des indemnités dues aux troupes d’occupation, lui valut la croix de la Légion d’honneur. Parvenu de la sorte à une situation éminente dans son propre pays, Barrès aurait pu légitimement entretenir de hautes
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