Souvenir d'un officier de la grande armée
commença le 4 janvier et ne finit que le 4 mai.
Les deux bataillons du régiment furent laissés dans le faubourg de la Weisnau, pour le défendre et faire le service de cette partie de la ville. C’est un faubourg sur la route d’Oppenheim, le long du Rhin, au-dessous d’une espèce de camp retranché dont nous avions la garde. Le service était rigoureux, surtout les rondes de nuit, qui se renouvelaient souvent, à cause de la désertion générale des soldats hollandais, belges, rhénans et même piémontais. Le froid fut très dur, cette année ; le Rhin gela complètement, à pouvoir passer en voiture sur la glace ; on allait à pied au fort de Cassel. Cette circonstance fit encore redoubler la surveillance des postes, car l’ennemi pouvait en profiter et achever la défection commencée. Pendant les deux mois que nous restâmes dans ce faubourg, nous eûmes quelques combats à soutenir contre les troupes du blocus, qui étaient peu dangereuses, car c’étaient en général des conscrits levés de la veille ; mais nous étions si faibles, si accablés par la fièvre typhoïde, que nous ne valions guère mieux que les assiégeants.
Une grande calamité avait frappé notre malheureuse garnison et les habitants de la ville. Pendant plus de deux mois, la mort sévit avec tant de violence qu’on ne pouvait pas suffire à enlever les victimes de cette horrible maladie. Les pestes d’Asie, la fièvre jaune des colonies ne firent pas autant de dégâts que le typhus dans Mayence. On estime qu’il mourut 30 000 militaires ou habitants. On faisait des fosses qui contenaient jusqu’à 1 500 cadavres, qu’on brûlait avec de la chaux. Nous perdîmes nos trois chirurgiens, trois officiers de voltigeurs, cinq ou six autres des compagnies du centre et la moitié de nos soldats. (C’est ainsi que nous fûmes plus faibles à notre départ de Mayence que lorsque nous avions passé le Rhin au retour de Leipsick, malgré les nombreuses recrues reçues avant le blocus.) Le préfet, le fameux Jean Bon Saint-André, plusieurs généraux, et beaucoup de personnages haut placés succombèrent.
Au retour du beau temps, nous rentrâmes en ville, ce qui nous plut très fort, ayant été fort mal, pendant ces deux mois, dans ce faubourg ruiné. Avec mars et la douce chaleur du printemps, revinrent la santé, la gaieté et les décevantes espérances. On forma un Conseil d’administration des convalescents, sous la présidence du colonel Follard, qui eut pleins pouvoirs du général en chef pour tout accorder dans l’intérêt des militaires, qui seraient envoyés au dépôt des convalescents. J’étais le deuxième membre et le plus actif, puisque j’étais chargé de l’exécution de tout ce qui avait été délibéré et adopté dans la séance du Conseil, qui se tenait le matin de chaque jour. J’avais plus de quarante officiers sous mes ordres, un pour chaque corps ou portion de corps. Ce Conseil commença ses opérations le 1 er mars, et ne les cessa que vers la fin d’avril, lorsque la maladie eut tout à fait disparue. Il s’assemblait tous les jours, et resta souvent en permanence. Son action sauva bien des malades d’une mort inévitable. Ma coopération y contribua un peu, car, ainsi que je l’ai dit plus haut, j’étais toujours là pour veiller à l’exécution des mesures ordonnées et suppléer aux insuffisances.
Les misères du blocus, sous le rapport alimentaire, ne furent pas très rigoureuses. Si on excepte la viande de boucherie, qui manqua totalement, dès les premiers jours, le pain, les légumes secs, les salaisons, furent distribués assez régulièrement et en quantité suffisante, d’après les règles en usage dans les places assiégées. La viande de bœuf fut remplacée par celle de cheval. Un de mes officiers, chargé des distributions, ne m’en laissa pas manquer. On donnait aussi un peu de vin, d’eau-de-vie, de la morue, des harengs secs, etc. On pouvait, en payant un peu cher, trouver à dîner dans les hôtels, mais quels dîners ! Malgré ces privations et la mortalité qui était effrayante, les cafés, les théâtres, les concerts, les bals étaient très suivis. Le spectacle était très bon, malgré la mort de plusieurs acteurs. J’y allais souvent, pour chasser les préoccupations du moment.
Le 11 avril, nous apprîmes les événements de Paris, et successivement, tous ceux qui en furent la suite. Cette foudroyante nouvelle nous fut communiquée officiellement
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