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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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21 juin, je pus rejoindre mes camarades à Mortagne. Je les trouvais à table, mangeant leur dernier écu. Mon arrivée fut saluée avec des transports de joie. Avec moi, revint la bonne humeur, parce que j’apportais ce qui la fait naître et l’entretient. Le major m’avoua qu’on dépensait ce soir le dernier « sol » qu’il y eut dans les bataillons. Cette situation n’étant plus tenable, il avait pris la résolution de s’arrêter à Alençon, et de prier le maire d’inviter les habitants à nourrir les soldats, jusqu’à ce qu’ils eussent reçu l’argent nécessaire pour continuer leur route.
    Le 6 juillet, nous arrivâmes à Lorient qui était le lieu de notre destination.
    Dans le courant du mois de septembre, le chef de notre bataillon, le commandant D…, qui avait pris le titre de comte et qui était resté à Paris depuis notre passage, pour se faire admettre comme officier dans la maison du roi (chevau-légers), ayant échoué dans ses prétentions, m’écrivit pour me demander s’il avait des chances d’être employé dans le régiment. Je lui répondis que par son ancienneté, il pouvait l’être encore, mais qu’il fallait se hâter d’arriver, parce qu’il se présentait beaucoup d’officiers de son grade pour concourir. Il vint de suite, bien guéri de son enthousiasme pour les Bourbons, mécontent de la cour, et fort courroucé contre le duc de Berri qui n’avait pas voulu admettre ses droits à l’emploi qu’il sollicitait.
    J’appris par lui bien des choses sur l’opposition que le nouveau gouvernement rencontrait dans sa marche, sur les bévues qu’il commettait, les mécontents qu’il faisait, et les injustices qu’on lui reprochait. Ce langage m’étonna, car étranger aux intrigues de cour, aux antichambres des ministres et au crédit des protecteurs en faveur, je ne comprenais pas qu’on eût besoin et qu’on employât de pareils moyens pour arriver plus haut. Mais ce qui m’étonnait le plus, c’était d’entendre de semblables choses sortir de la bouche d’un homme qui m’avait si fort rembarré, quand j’avais mis en doute la bonté du gouvernement qui allait nous être imposé. Pendant un mois qu’il resta à Lorient, nous fûmes presque toujours ensemble. N’ayant pas été employé, il fut manger sa demi-solde à Paris. (Lors de la cérémonie du Champ-de-Mai, l’année suivante, il était un des officiers chargés de placer les troupes dans le Champ-de-Mars, avant la distribution des aigles. Ce retour vers l’aventurier fut cause qu’il resta sans emploi après les Cent-Jours. Mais par la protection de son parrain, le duc d’Orléans, aujourd’hui Louis Philippe, il entra dans les gardes du corps à pied et arriva successivement au grade de lieutenant-général, directeur général au ministère, conseiller d’État, etc.)
    L’obligation d’aller à la messe tous les dimanches contraria beaucoup les officiers et leur fit prendre les Bourbons en grippe, mais plus encore la certitude qu’une immensité d’entre nous serait envoyée en demi-solde. Le 1 er octobre, l’organisation du 44 ème de ligne se fit dans le cabinet du colonel, en présence de l’inspecteur général comte de Clausel, mais ce travail demeura secret. Le 3, cette opération se fit sur le terrain du polygone, en présence d’un grand concours d’officiers, qui attendaient avec anxiété le résultat des notes données sur le compte de chacun d’eux. L’appel des officiers maintenus en activité se fit d’abord pour les officiers supérieurs, puis pour les officiers comptables, puis pour les officiers de campagne. Quoique j’eusse une espèce de certitude, je trouvai cependant le temps long de ne pas entendre mon nom. Je fus appelé le dernier, parce que je devais commander la 3 ème de voltigeurs.
    Barrès, mis en congé de semestre au début de novembre 1814, se retira en Auvergne auprès des siens :
    23 novembre. – À Blesle, où j’ai le plaisir de retrouver ma mère et tous mes parents en bonne santé.
    Le changement de gouvernement avait aussi changé l’esprit de la société. Il n’y avait plus l’entrain de 1812. La politique avait divisé les individus et refroidi les familles. La noblesse avait repris son orgueil et ne recevait plus avec la même simplicité qu’auparavant. Pour ne pas être témoin de ses hauteurs, je la fréquentai peu, je sortis moins et m’ennuyai assez. Cependant il y avait une maison, illustre dans le pays par sa

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