Souvenir d'un officier de la grande armée
jusqu’à Prades. À Perpignan, le 27, je trouvai plusieurs de nos camarades du 1 er bataillon, qui était en garnison à Collioure depuis un mois, venus pour m’accueillir. Pendant le déjeuner qu’ils m’offraient, le général Vautré me fit demander.
Je trouvai chez lui le colonel O-Mahony, qui me parut assez embarrassé. Le général me dit d’un air assez dégagé, en m’abordant :
– J’ai appris avec surprise, mon cher capitaine, que vous étiez très chagrin de la mesure que j’avais prise à votre égard, et que je vous avais condamné sans vous avoir entendu ; ce qui pouvait vous faire croire que j’avais agi avec passion et d’après des rapports qui m’auraient été faits contre vous, à mon arrivée, dans le but de vous nuire. Détrompez-vous ; voici une note ministérielle où votre nom figure avec plusieurs autres.
Je pris connaissance de ce document, émané du ministère de la Guerre, qui portait en tête : Noms des officiers sur lesquels on prendra des renseignements.
– Eh bien ! mon général, avez-vous pris des renseignements sur mon compte ? Il me dit que oui. Alors un dialogue très vif s’établit entre lui et moi, où je réfutai victorieusement toutes les accusations qu’il me portait.
– Si j’étais seul avec vous, mon général, vous pourriez ne pas me croire, mais le colonel est là qui m’entend et qui peut dire si je mens.
À chaque réponse que je faisais je disais au colonel :
– Est-ce vrai ?
Celui-ci était bien forcé de dire oui. Du reste, la principale accusation un peu sérieuse, c’était d’avoir été abonné au Constitutionnel. Mais quand je lui exposai que le colonel, un chef de bataillon et cinq ou six autres capitaines l’étaient aussi, cela le déconcerta et embarrassa beaucoup le colonel. C’est alors que je lui dis :
– Si jamais je suis rappelé à faire partie de l’armée et que je sois tué au service du roi, viendra-t-on demander sur mon cadavre si je lisais le Constitutionnel ou le Drapeau blanc.
Il me répondit vivement et comme entraîné par mon apostrophe :
– Je suis convaincu que les lecteurs du premier firent toujours mieux leur devoir que les lecteurs du second.
Une autre fois je lui dis :
– Comment se fait-il, mon général, que vous m’ayez proposé pour chef de bataillon, il y a deux mois, et que je ne sois pas même bon aujourd’hui à servir dans l’armée ?
– Cela est vrai, mais alors je ne savais pas que vous fussiez un libéral.
Il me fit lire les notes qu’il m’avait données à cette époque, en me disant :
– Vous voyez que vous étiez bien dans mon esprit et que vous l’êtes encore, car je vous donne ma parole d’honneur qu’avant qu’il soit vingt jours vous serez replacé.
Je sortis satisfait, moins de ce que j’avais l’espoir d’être réintégré dans mon grade, que d’avoir prouvé que j’avais été calomnié, mal jugé et abandonné par mon protecteur naturel.
Une heure après, je montais en voiture pour Montpellier. Tous les officiers qui m’avaient invité à déjeuner m’accompagnèrent jusqu’au bureau de la voiture. Le capitaine, après m’avoir embrassé avec toute l’effusion d’un cœur chaud et aimant, et sitôt que je fus hors de vue, se rendit chez le général. Il y trouva l’aide de camp qui demanda après moi. Il lui dit que j’étais parti.
– Ah ! mon Dieu ! tant pis, le général vient de le placer au 15 ème régiment d’infanterie légère.
– C’est bien, dit le bouillant Guinguené, dans trois heures, je vous le ramènerai.
Il fut à la poste aux chevaux, en monta un et se faisant précéder d’un postillon, il dit : « Ventre à terre jusqu’à la rencontre de la voiture qui vient de partir. » Deux heures après, il était à la portière de ma voiture, où il me dit : « Descendez, j’ai ordre de vous ramener à Perpignan. »
Absorbé dans mes douloureuses réflexions, je crus rêver quand je le vis auprès de moi. Après quelques explications, je montai derrière le postillon et nous galopâmes vers la ville. Le contentement que j’éprouvai de ce retour à une meilleure appréciation de ma conduite militaire et privée était bien loin d’égaler la peine que j’avais ressentie en apprenant la fatale injustice, mais je triomphais un peu de mes lâches dénonciateurs.
Nous étions près de Salus quand je fus sommé de descendre de voiture. Le temps était affreux ; la pluie tombait à torrent, en
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