Souvenir d'un officier de la grande armée
commandants de compagnie de prendre aux soldats leur culotte, pour les empêcher de partir la nuit, et de la leur rapporter le lendemain matin pour la route ! En vérité, ces gens-là avaient perdu la tête.
À notre arrivée à Besançon, nous vîmes les inspecteurs généraux chargés d’achever notre organisation. L’un d’eux était un général allemand, passé au service de la France, le prince de Hohenlohe ! Leur première opération fut de désigner la moitié des officiers de tous grades pour aller en semestre forcé. Je fus de ce nombre. On pense si cette mesure inique déplut à tous les officiers qui la subirent ! Pour mon compte, elle me contraria beaucoup, car je n’étais guère dans ce moment en position de supporter les frais d’un voyage aussi inattendu. Je m’en retournai en Auvergne.
J. – B. Barrès poursuivi par la dénonciation qui l’accuse d’avoir refusé de boire à la santé du roi est cependant nommé capitaine de grenadier du 2 ème bataillon. En mars 1817, il va d’Auvergne rejoindre la légion à Strasbourg et successivement en 1818 et 1819, il tient garnison au Puy, à Grenoble, et à Montlouis, près de la frontière espagnole.
BARRÈS EST MIS EN DEMI-SOLDE
Montlouis. – Le 15 octobre 1820, l’inspecteur général, M. le maréchal de camp Vautré, commença ses opérations. Elles durèrent huit jours. Comme les années précédentes, je fus proposé pour chef de bataillon et invité à dîner par lui. Je fus aussi proposé pour la croix de Saint-Louis.
Le 17 décembre, le même général Vautré revint. À son arrivée, il demanda si je lisais encore le Constitutionnel. Le colonel, commandant de la place répondit : « Oui. » Il mentait. Il aurait dû dire non et que depuis septembre l’abonnement était expiré. Il aurait dit la vérité. Il le savait bien, puisque nous le lisions ensemble (lui, le colonel, un chef de bataillon et dix capitaines), mais il eut peur et se tut. Sur cette affirmation, le général dit : « Barrès paiera pour les autres. Je le faisais passer au 19 ème de ligne (légion de la Gironde), il ira en demi-solde. »
Ce dialogue, je l’ignorais. Il y eut un dîner. Tous les officiers étaient tristes, parce qu’on savait déjà les noms de plusieurs d’entre nous qui changeaient de corps ou étaient renvoyés en demi-solde. J’étais de ce nombre. On me le laissa ignorer longtemps, mais enfin on finit par me l’apprendre. J’étais loin de penser qu’une semblable mesure pût jamais m’atteindre. J’avais rendu de si grands services ; ma conduite privée et militaire avait été si exempte de blâme, sous tous les rapports, que je restai confondu, anéanti.
Le lendemain, je voulus voir le général ; il me fit dire de rester tranquille dans mon intérêt. Ainsi j’étais condamné sans avoir été entendu. Je fus chez le colonel, qui eut l’air de me plaindre beaucoup. Chez le lieutenant-colonel, je trouvai plus de manifestation de regret et d’indignation. Mais comme je le connaissais faux, je ne me fis pas beaucoup d’illusion sur la sincérité de ses démonstrations. (En voici une preuve : lui ayant exprimé l’inquiétude que j’avais que mon frère, vicaire général de l’archevêque de Bordeaux, pût croire que j’avais commis quelque acte déshonorant dans ma carrière militaire, il lui écrivit une lettre de quatre pages pour lui faire mon éloge. Quinze jours après, il réclama cette lettre.) Heureusement que je trouvai dans l’expression des regrets de la presque totalité de mes camarades, dans leur bonne affection, quelques consolations à ma profonde douleur.
Ce qui m’affligeait le plus dans cette brutale disgrâce, c’était de voir que ce colonel qui, pendant cinq années, m’avait comblé de bons procédés, donné des preuves sincères d’attachement, deux compagnies d’élite à commander, proposé pour chef de bataillon et pour la croix de Saint-Louis, choisi entre tous mes camarades pour remplir des fonctions dans les conseils de guerre, dans les places, dans l’administration, me sacrifiait pour complaire à un général qui voulait donner la preuve de son dévouement aux Bourbons en sacrifiant l’existence et l’avenir des anciens officiers, ses compagnons de l’Empire.
Le 25 décembre, au matin, je fis mes adieux, le cœur bien gros, les yeux pleins de larmes, à tous les officiers réunis. Ces derniers moments furent très touchants. Plusieurs m’accompagnèrent
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