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Souvenir d'un officier de la grande armée

Souvenir d'un officier de la grande armée

Titel: Souvenir d'un officier de la grande armée Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Baptiste Auguste Barrès
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sorte que quand nous arrivâmes à Perpignan nous étions horriblement mouillés et crottés. Malgré cela nous descendîmes de cheval à la porte du général et montâmes chez lui. En me voyant, il vint à moi, me serra cordialement la main, en me disant :
    – Vous voyez que je ne garde pas toujours rancune.
    Une inclination fut ma seule réponse. Il me dit ensuite :
    – Vous pourrez partir quand vous voudrez pour Périgueux où est le 15 ème léger, j’ai déjà donné avis de votre admission.
    J’observai qu’il me serait pénible d’arriver au régiment avant que l’organisation y fut faite, ma présence devant être désagréable à ceux qui pourraient se trouver dans la position où j’étais il y a quelques jours.
    – Rassurez-vous, me répondit-il, vous ne déplacez personne, vous remplacez un officier qui demande sa retraite, et ceux qui doivent partir le sont déjà. Du reste vous rejoindrez quand vous voudrez, je vous donnerai une autorisation pour cela.

CHEZ L’ARCHEVÊQUE DE BORDEAUX
     
    Barrès se met en route vers Périgueux, et s’arrête pendant le trajet, à Bordeaux, pour voir son frère.
    À Agen, trois voyageurs montèrent dans la diligence, l’un très partisan du magnétisme, un autre très versé dans la littérature anglaise, et enthousiaste de Lord Byron et de Walter Scott, dont j’entendais parler pour la première fois, et le troisième, un rédacteur en chef d’un journal libéral de Bordeaux, qui s’était rendu à Agen pour prier le préfet de ne pas lui faire l’honneur de composer un jury exprès pour lui, vu qu’il se contenterait de celui qui serait chargé de juger les assassins et les voleurs. Il était poursuivi pour délit de presse, pour avoir demandé la démolition de la fameuse colonne du 12 mars qui était une insulte à la France. La conversation très spirituelle de ces trois hommes me fit supporter agréablement l’ennui d’un long séjour en lourde diligence.
    Après avoir pris un logement, je fus à l’archevêché voir mon frère aîné, vicaire général. Il avait été successivement élève de l’École normale et professeur de littérature à l’École centrale. Sous l’Empire, il avait été deux fois candidat au Corps législatif, et chevalier de la Légion d’honneur. En 1817, alors qu’il était secrétaire général de la préfecture du Puy, il s’était dégoûté du monde, et était allé se réfugier dans un séminaire pour y prendre les ordres.
    Il me présenta à l’archevêque. Ce bon vieillard, aussi respectable par ses vertus que par son grand âge, exigea de moi, comme un devoir qui m’était imposé, d’aller dîner tous les jours chez lui, tant que je resterais à Bordeaux. C’est ce que je fis. À table, il ne voulut pas qu’on parlât métier, malgré les cinq ou six prêtres qui s’y trouvaient habituellement. Il fallait lui parler guerre, batailles, et autres récits de ce genre. Il n’admettait pas que d’autres que moi lui versassent à boire. Enfin ce saint homme, comme on l’appelait dans la maison, me fit promettre, après m’avoir donné sa bénédiction, que dans les beaux jours du printemps je reviendrais le voir et que j’irais habiter sa belle maison de campagne qui lui avait été donnée par l’Empereur Napoléon. Il me dit que quand il fut nommé chevalier du Saint-Esprit, on avait voulu lui faire quitter sa croix d’officier de la Légion d’honneur, dont il était toujours décoré, mais qu’il s’y était refusé en disant que celui qui la lui avait donnée savait bien ce qu’il faisait.
    Pendant les quatre jours que je restai dans cette ville, je fus tous les soirs au spectacle, où je vis jouer plusieurs opéras nouveaux, qui me firent d’autant plus de plaisir que j’en étais privé depuis longtemps et qu’ils étaient bien représentés. Dans les Voitures versées, musique de Boieldieu, il y a une scène où trois jeunes femmes en grande toilette se trouvent réunies. Elles avaient chacune une couronne, l’une bleue, la deuxième blanche et la troisième rouge, et placées dans cet ordre. Quand elles parurent, elles furent applaudies. En 1815, les actrices et leurs admirateurs auraient été mangés vifs, c’est le mot, car je ne pouvais pas me rappeler sans effroi la soirée que j’y avais passée à cette époque. Quel changement en si peu d’années ! Après le spectacle, j’allais passer le reste de ma soirée avec des chanoines. On y buvait d’excellent vin de

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