Souvenir d'un officier de la grande armée
je m’étais éloigné en me dirigeant sur Pleau.
J’arrivai à Aurillac, trop blessé aux pieds pour pouvoir continuer de marcher, et j’y attendis la diligence pour terminer mon voyage en voiture.
Le 25 octobre, j’arrivai à Blesle, dans ma famille, bien satisfait de voir la fin de mon voyage. J’étais resté vingt-deux jours en route, c’était beaucoup de temps et de fatigue ! Voyager à pied, seul, un bâton à la main, cela peut être charmant dans la belle saison et pour un amateur de pittoresque, mais pour un militaire, qui a passé les dix plus belles années de sa vie sur les grandes routes, cela n’a plus le même attrait. Je ne fus pas enchanté de ma fantaisie philosophique.
Chez ma mère, je trouvai une lettre du maréchal de camp Romeuf, commandant le département de la Haute-Loire, qui me prévenait que j’étais nommé commandant provisoire de la légion du département, et de me rendre à Brioude, ville non occupée par nos amis les ennemis (ils n’avaient pas dépassé l’Allier), pour commander le noyau qui s’y formait. J’avais besoin de repos, je le pris jusqu’au 4 novembre, tout flatté que j’étais de la préférence qu’on m’avait donnée.
Le 4 novembre, j’allai à Brioude, où je trouvai une centaine d’hommes et l’ordre de partir avec eux pour Craponne, où je trouverais des instructions.
Le 6, je me perdis dans les bois et les neiges des montagnes de la Chaise-Dieu, aussi hautes que sauvages. Heureusement que le maire de la Chaise-Dieu fit sonner les cloches, dont le son me guida.
Le lendemain 7, j’arrivai de la Chaise-Dieu à Craponne. On avait rêvé que les généraux proscrits s’étaient cachés dans les environs. Ma mission était de visiter tous les villages, de désarmer les habitants, de battre les bois, de fouiller les montagnes et de me mettre en rapport avec les colonnes mobiles de la Loire et du Puy-de-Dôme. Je le fis par devoir, mais sans conviction ; assez ostensiblement pour qu’on connût d’avance mes projets. Un jour, cette petite ville de Craponne ressembla à un quartier général d’armée. Les préfets de ces trois départements et le général comte de la Roche-Aymon, escortés de zélés royalistes à cheval et en riche uniforme, s’y trouvèrent réunis pour se concerter sur les moyens d’arrêter les projets révolutionnaires des bonapartistes, des libéraux, des brigands de la Loire. La peur leur faisait voir partout des conspirateurs, mais ils ne faisaient rien pour calmer les populations irritées.
Le 5 avril 1816, au Puy, un incident se produit. Quelques officiers, à l’hôtel, proposent de boire à la santé du roi. Soupçonné de n’avoir pas répondu à cette invite avec assez d’empressement, Barrès est dénoncé au colonel, puis au général, puis au préfet qui décident de le maintenir dans la légion, mais de le réprimander. « Il fallait alors, écrit-il, être chaud royaliste, chaud jusqu’à l’extravagance. »
Mes fonctions de commandant de place m’assujettissaient à bien des occupations puériles, à des courses de nuit, à des enquêtes préparatoires, à des appels fréquents chez le général et le préfet. Ces messieurs voyaient partout des complots, des conspirations, des boutons à l’aigle, des cocardes tricolores, des signes de rébellion. C’était à qui montrerait le plus de zèle et de dévouement pour la bonne cause. Un dimanche du mois de juillet 1816, le préfet, pour célébrer l’anniversaire de la rentrée des Bourbons à Paris, fit apporter, sur la plus grande place du Puy, tout le papier timbré à l’effigie impériale, les sceaux des communes de la République et de l’Empire, et un magnifique buste colossal en marbre blanc d’Italie de l’empereur Napoléon, chef d’œuvre du célèbre statuaire Julien, qui l’avait offert lui-même à ses ingrats et barbares compatriotes. Tout cela fut brûlé, mutilé, brisé, en présence de la troupe et de la garde nationale sous les armes, des autorités civiles, militaires, judiciaires, au bruit du canon, aux cris sauvages de « Vive le roi ! ». Cet acte de vandalisme me brisa le cœur. {4}
Le 15 août 1816, nous reçûmes l’ordre de partir pour Besançon. Ce fut comique. Le général Romeuf nous accompagna, pour surveiller notre marche. La gendarmerie nous suivait derrière, pour empêcher la désertion des soldats. À Yssingeaux, le comte de Moidière, notre lieutenant-colonel, proposa sérieusement aux
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