Souvenirs d'un homme de lettres
de la Prusse, et que la fourrure
des écureuils est de ce miroir fauve si cher à
M. de Bismarck.
Je tiens ces détails du père La Loué, vrai
type du forestier de Seine-et-Oise, avec son accent traînard, son
air madré, ses petits yeux clignotant dans un masque couleur de
terre. Le bonhomme est si jaloux de ses fonctions de garde, il
invoque si souvent et à tout propos les cinq lettres cabalistiques
flamboyant sur le cuivre de sa plaque, que les gens du pays l'ont
surnommé le père La Loi, La Loué, pour parler comme en
Seine-et-Oise. Lorsqu'au mois de septembre nous vînmes nous
enfermer dans Paris, le vieux La Loué enterra ses meubles, ses
hardes, envoya sa famille au loin, et resta pour attendre les
Prussiens.
« Je connais ma forêt, disait-il en
brandissant sa carabine… Qu'ils viennent m'y
chercher ! »
Là-dessus nous nous séparâmes… Je n'étais pas
sans inquiétude sur son compte. Souvent, pendant ce dur hiver, je
me figurais ce pauvre homme tout seul dans la forêt, obligé de se
nourrir de racines, n'ayant pour se garer du froid qu'une blouse de
toile avec sa plaque par-dessus. Rien que d'y penser, j'en avais la
chair de poule.
Hier matin, je l'ai vu arriver chez moi,
frais, gaillard, engraissé, avec une belle lévite neuve, et
toujours la fameuse plaque reluisant sur sa poitrine comme un
bassin de barbier. Qu'a-t-il fait tout ce temps-là ? Je n'ai
pas osé le lui demander ; mais il n'a pas l'air d'avoir trop
souffert… Brave père La Loué ! Il savait si bien sa
forêt ! Il y aura promené le prince de Saxe.
C'est peut-être une mauvaise pensée que j'ai
là ; mais je connais mes paysans, et je sais ce dont ils sont
capables… Le vaillant peintre Eugène Leroux – blessé dans une de
nos premières sorties et soigné quelque temps chez des vignerons de
la Beauce – nous racontait l'autre jour un mot qui peint bien toute
cette race. Les gens chez lesquels il logeait ne s'expliquaient pas
pourquoi il s'était battu sans y être forcé.
« Vous êtes donc un ancien
militaire ? Lui demandaient-ils toujours.
– Pas du tout. Je fais des tableaux, je n'ai
jamais fait que cela.
– Eh ben ! Alors, quand ils vous ont fait
signer le papier pour aller à la guerre… ?
– Mais on ne m'a rien fait signer…
– Enfin, quoi ! Quand vous êtes allé pour
vous battre, c'est donc – et ici ils se regardaient en clignant de
l'œil – c'est donc que vous aviez bu un petit
coup ! »
Voilà le paysan français… Celui des environs
de Paris est pire encore. Les quelques braves gens qu'il y avait
dans la banlieue sont venus derrière les remparts manger du pain de
chien avec nous : mais les autres, je m'en méfie. Ils sont
restés pour montrer nos caves aux Prussiens, et consommer le
pillage de nos pauvres palais d'été.
Mon palais à moi était si modeste, si bien
enfoui dans les acacias, qu'il aura peut-être échappé au
désastre ; mais je n'irai m'en assurer que quand les Prussiens
seront partis, et bien longtemps après encore. Je veux laisser au
paysage le temps de s'assainir… Quand je pense que tous nos jolis
coins, ces petites îles de roseaux et de saules grêles où nous
allions le soir nous allonger au ras de l'eau pour écouter chanter
les rainettes, les allées pleines de mousse où la pensée, en
marchant, s'éparpillait tout le long des haies, s'accrochait à
toutes les branches, ces grandes clairières de gazon où l'on était
si bien pour dormir au pied des chênes, avec un tournoiement
d'abeilles dans le haut, qui nous faisaient un dôme de musique,
quand je pense que cela a été à eux, qu'ils se sont assis
partout ; alors ce beau pays ne m'apparaît plus que fané et
triste. Cette souillure m'effraye encore plus que le pillage. J'ai
peur de ne plus aimer mon nid.
Ah ! Si les Parisiens, au moment du
siège, avaient pu rentrer en ville cette adorable campagne des
environs ; si nous avions pu rouler les pelouses, les chemins
verts tout empourprés des soleils couchants, enlever les étangs qui
luisent sous bois comme des miroirs à main, pelotonner nos petites
rivières autour d'une bobine comme des fils d'argent, et enfermer
le tout au garde-meuble : quelle joie ce serait pour nous
maintenant de mettre les pelouses et les dessous de bois en place,
et de refaire une Ile-de-France que les Prussiens n'auraient jamais
vue !…
Le naufrage
Champrosay, 25 mai 1871
.
Et voici le jardin charmant
Parfumé de myrte et de rose…
… Hélas ! Cette
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