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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alphonse Daudet
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reparaissait. Ce boueux regardait les femmes. Devant une
cartoucherie de la rue de Charonne, il s'arrêta un moment pour voir
des ouvrières qui entraient. L'aspect du grand faubourg, tout ce
grouillement de peuple semblait aussi l'étonner beaucoup. Cela se
sentait aux regards effarés qu'il jetait de droite et de gauche,
comme s'il arrivait en pays inconnu…
    Et pourtant, vicomte, ces longues rues qui
mènent à Vincennes, vous les aviez parcourues bien souvent par les
dimanches de printemps et d'automne, quand vous reveniez des
courses, la carte verte au chapeau, le sac de cuir en bandoulière,
en faisant « hep ! » du bout du fouet… Mais alors
vous étiez si haut perché sur votre phaéton, il y avait autour de
vous un tel fouillis de fleurs, de rubans, de boucles, de voiles de
gaze, toutes ces roues qui se frôlaient vous enveloppaient d'une
poussière si lumineuse, si aristocratique, que vous ne voyiez pas
les fenêtres sombres s'ouvrant à votre approche, les intérieurs
d'ouvriers où juste à cette heure-là on se mettait à table ;
et quand vous aviez passé, quand cette longue traînée de vie
luxueuse, de soies claires, d'essieux brillants, de chevelures
voyantes, disparaissait vers Paris, emportait avec elle son
atmosphère dorée, vous ne saviez pas combien le faubourg devenait
plus noir, le pain plus amer, l'outil plus lourd, ni ce que vous
laissiez là de haine et de colère…
    … Une volée de jurons et de coups de fouet
coupa court à mon soliloque. Nous arrivions à la porte de
Vincennes. On venait de baisser le pont-levis, et dans le
demi-jour, les flots de pluie, cet encombrement de charrettes qui
se pressaient, de gardes nationaux visitant les permis, j'aperçus
mon pauvre vicomte se débattant avec ses trois grands chevaux,
qu'il essayait de faire tourner. Le malheureux avait perdu la file.
Il jurait, il tirait sur sa longe, suait à grosse gouttes. Je vous
réponds qu'il n'avait plus l'air alangui… Déjà les communeux
commençaient à le remarquer. On faisait cercle, on riait : la
position devenait mauvaise… Heureusement, le maître charretier vint
à son secours, lui arracha la bride des mains en le bousculant,
puis d'un grand coup de fouet enleva l'attelage qui franchit le
pont au galop, avec le vicomte derrière, courant et barbotant. La
porte passée, il reprit sa place, et le convoi se perdit dans les
terrains vagues qui longent les fortifications.
    C'était vraiment une piteuse sortie. Je
regardais cela du haut d'un talus ; ces champs de plâtras où
les roues s'embourbaient, ce gazon fangeux et rare, ces hommes
courbés par l'averse, cette file de tombereaux marchant pesamment
comme des corbillards… On aurait dit un enterrement honteux. Tout
le Paris du bas-empire qui s'en allait noyé dans sa boue.

Les Palais d'été.
    Écrit pendant la Commune
.
    Après la prise de Pékin et le pillage du
Palais d'Été par les troupes françaises, lorsque le général
Cousin-Montauban vint à Paris se faire baptiser comte de Palikao,
il distribua dans la société parisienne, en guise de dragées de
baptême, les merveilleux trésors de jade et de laque rouge dont ses
fourgons revenaient chargés, et pendant toute une saison il y eut
aux Tuileries et dans quelques salons privilégiés une grande
exhibition de chinoiseries.
    On allait là comme à une vente de cocotte ou à
une conférence de l'abbé Bauer. Je vois encore, dans le demi-jour
des pièces un peu abandonnées où ces richesses étaient étalées, les
petites Frou-Frou à gros chignons se pressant, s'agitant parmi les
stores de soie bleue à fleurs d'argent, les lanternes de gaze
ornées de houppes et de clochettes d'émail, les paravents de corne
transparente, les grands écrans de toile couverts de sentences
peintes, tout cet encombrement de riens précieux, si bien faits
pour la vie immobile des femmes aux petits pieds. On s'asseyait sur
les fauteuils de porcelaine, on fouillait les coffres de laque, les
tables à ouvrage à dessins d'or ; on essayait pour jouer les
crêpes de soie blanche, les colliers de perles de Tartarie ;
et c'étaient de petits cris d'étonnement, des rires étouffés, une
cloison de bambou qu'on renversait avec sa traîne, et puis sur
toutes les lèvres, ce mot magique de palais Été qui courait comme
une brise d'éventail, ouvrant à l'imagination je ne sais quelles
féeriques, avenues d'ivoire blanc et de jaspe fleuri.
    Cette année, la société de Berlin, de Munich,
de Stuttgart, a eu,

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