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Souvenirs d'un homme de lettres

Souvenirs d'un homme de lettres

Titel: Souvenirs d'un homme de lettres Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alphonse Daudet
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portait…
    Ce coup de pied sacra Lafontaine grand acteur,
fut pour sa foi de comédien comme une confirmation par en bas.
Pourtant, s'il n'avait eu que les leçons de Frédérick, l'artiste
bordelais n'aurait jamais pu régler, endiguer son fougueux
vagabondage. Son Midi le portait, mais le gênait aussi. Il en avait
l'improvisation brillante, mais aussi les emportements, le manque
de mesure, tous les heurts de soleil et d'ombre. Si bien doué, il
pouvait manquer sa vie, n'être qu'un détraqué sublime comme ce
pauvre Rouvière qu'affolait son double tempérament d'acteur et de
méridional. Par bonheur Lafontaine entra au Gymnase et eut là,
pendant dix ans, un professeur incomparable. Ceux qui ont vu le
vieux Montigny dans son fauteuil, à l'avant-scène, bourru, le
sourcil froncé, faisant recommencer dix fois, vingt fois le même
passage, rompant les plus durs, les plus rebelles, toujours
insatisfait, s'acharnant au mieux, ceux-là peuvent se vanter
d'avoir connu un vrai directeur de théâtre. Avec lui, le talent de
l'artiste se disciplina. À sa verve exubérante, Montigny mit comme
une cangue le hausse-col militaire du
Fils de Famille
, ce
même
Fils de Famille
que Lafontaine a repris il y a
quelque temps à l'Odéon, il lui boutonna son geste du Midi dans la
redingote en drap fin du mari de
Diane de Lys
. Le
Bordelais se cabrait, avalait son mors ; mais il sortit de là
dompté, assoupli, accompli, et aujourd'hui, quand il parle de son
vieux maître, il a toujours les yeux mouillés.

Notes sur Paris
    Les nounous
    Rien de joli au Luxembourg, aux Tuileries, par
ces premiers joyeux soleils, par ces premiers frissons de verdure,
comme la sortie des bébés et des nounous de une à deux heures de
l'après-midi.
    En ces coins abrités où elles se donnent
toutes rendez-vous, les nourrices se promènent par groupes aux
rubans flottants ou s'alignent sur des chaises, protégeant le bébé
sous le large parasol de doublure rose ou bleue au reflet
favorable ; et tandis que le poupon, endormi dans son voile
transparent et la dentelle mousseuse de ses petits bonnets, aspire
de tout son être mignon la sève du printemps, Nounou radieuse,
reposée, ayant aux lèvres un sourire de perpétuelles relevailles,
promène tout autour un regard vainqueur, dresse la tête, rit et
jase avec les camarades.
    Elles sont là cinquante, ces nourrices, toutes
en costume de pays, mais le costume affiné, transformé et donnant à
la solennité du jardin royal une vieillotte poésie d'opéra comique.
Des coiffures variées et superbes : madras éclatant des
Gasconnes et des mulâtresses, coiffes conventuelles des Bretonnes,
énorme et léger papillon noir des Alsaciennes, aristocratique
hennin des filles d'Arles, et les hauts bonnets du pays de Caux,
ajourés comme des flèches de cathédrales, et, fichées dans des
chignons sauvages, les grandes épingles à boules d'or des
Béarnaises.
    L'air est doux, les parterres embaument, une
odeur de résine et de miel tombe des bourgeons de marronniers.
Là-bas, près du bassin, la musique militaire attaque une valse.
Nounou s'agite, Bébé piaille, tandis que le petit soldat en
promenade devient rouge comme son pompon devant cette haie de
payses qu'il trouve considérablement embellies.
    Cela, c'est la nourrice de promenade et de
parade, costumée et métamorphosée par l'orgueil des parents et six
mois de séjour à Paris. Mais pour voir la vraie nounou, pour bien
la connaître, il faut la surprendre à l'arrivée, dans un de ces
établissements étranges qu'on nomme bureaux de placement et où se
fait, à l'usage des bébés parisiens affamés d'un lait quelconque,
le commerce des femmes-mères. C'est du côté du Jardin des Plantes,
au bout d'une de ces rues paisibles, demeurées provinciales en
plein Paris, avec des pensions, des tables d'hôte, des maisonnettes
à jardinet, peuplées de vieux savants, de petits rentiers et de
poules ; sur la façade d'un antique logis à grand porche, une
enseigne à lettres roses étale ce simple mot : Nourrices.
    Devant la porte, par groupes ennuyés, flânent
des femmes en guenilles, avec des enfants sur les bras. On
entre : un pupitre, un guichet grillé, le dos de cuivre d'un
grand-livre, du monde qui attend sur des banquettes, l'éternel
bureau, le même toujours, également correct et froid, aux halles
comme à la Morgue, qu'il s'agisse d'expédier des pruneaux ou
d'enregistrer des cadavres. Ici c'est de la chair vivante qu'on
trafique.
    Comme

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