Spartacus
pour eux que des animaux, marmonna le berger.
Spartacus replaça son glaive dans le fourreau et, d’un signe, indiqua au berger qu’il pouvait s’éloigner. L’homme hésita, puis saisit parmi les moutons et les chèvres qui se pressaient autour de lui un chevreau qu’il tendit à Spartacus.
— Autant que ce soit pour toi, lança-t-il. Tu es thrace. Si tu es celui qui a quitté leur armée et éteint le feu sacré dans le temple de Cybèle, c’est toi que les Romains recherchent. Ils ont battu Cox, avant de le supplicier, pour qu’il dise ce qu’il savait de toi. Rentre dans la forêt, les Romains suivent les voies. Ils aiment la lumière et craignent l’obscurité de la futaie. Je vais m’y cacher, ajouta le berger en sifflant ses chiens et en marchant en direction des arbres.
Spartacus regarda le berger s’éloigner, les chiens harcelant le troupeau qui hésitait à s’engager sous les frondaisons.
Quand enfin la voie fut devenue vide, il reprit sa marche vers le nord, posant le chevreau sur ses épaules en le tenant par les pattes, attendant la nuit pour l’égorger.
Apollonia se précipita alors, recueillant le sang dans une petite amphore, arrachant l’animal encore pantelant des mains de Spartacus, lui ouvrant le ventre d’un long coup de poignard, puis plongeant ses mains dans les viscères, les répandant sur le sol où ils glissèrent, fumants, les uns sur les autres comme un nœud grouillant de serpents.
Elle but une gorgée du sang, puis, à gestes lents, elle sépara le cœur et le foie des boyaux.
Elle s’accroupit, effleura des lèvres ces viscères, puis but à nouveau une gorgée de sang. Enfin, d’un coup sec, elle fendit le cœur et le foie, prit chaque partie de ces organes dans ses paumes et les porta à ses lèvres avant de les jeter dans le feu. Quand, après cela, elle étendit les boyaux sur les flammes, celles-ci parurent d’abord étouffées, avant de rejaillir plus vives.
Apollonia s’approcha alors de Spartacus.
— La mort te guette, lui dit elle. Je l’ai vue. Tu marches à sa rencontre. Tu peux la vaincre avec l’aide des dieux.
Elle s’agenouilla devant lui.
— Mais elle est habile et tenace. Écarte-toi de cette voie, c’est son chemin !
Spartacus ne répondit pas, mais, les jours suivants, il continua d’avancer, marchant en lisière de cette voie, ne se réfugiant dans la forêt qu’au moment où se faisaient entendre les tambours et les trompettes d’une centurie ou d’une cohorte romaines.
Alors il reculait lentement dans le sous-bois, comme à regret, comme s’il lui en coûtait de ne pas relever le défi, résistant à Apollonia qui voulait l’entraîner plus loin au cœur de la forêt.
Il se dégageait d’un mouvement de tout le torse, la repoussait, s’asseyait sur une souche, regardait passer à quelques dizaines de pas les emblèmes de Rome, ou bien ces chariots chargés de métaux que les esclaves extrayaient au nord de la Thrace ou sur lesquels s’entassaient des tissus de soie que les marchands venus d’Asie vendaient sur les rives du Pont-Euxin.
Puis, dès que la voie était à nouveau déserte, il s’empressait d’y retourner comme si cette vallée de lumière l’attirait irrésistiblement.
Un matin, alors que les pluies d’automne commençaient à transformer la voie en torrent boueux, Spartacus entendit le grincement des grandes roues d’une voiture, et, avant d’avoir pu ou voulu se dissimuler, il la vit surgir devant lui. Une dizaine d’esclaves armés de longs bâtons cloutés escortaient ce véhicule long et bas, couvert et fermé.
Spartacus resta quelques instants immobile, hésitant entre la fuite et le combat, puis il s’élança, glaive et javelot dressés, criant comme s’il avait dû entraîner derrière lui une troupe de guerriers.
Les esclaves imaginèrent sans doute qu’ils étaient tombés dans un guet-apens, que de la forêt allait surgir toute une troupe. Ils s’enfuirent, le bouvier sautant à bas de la voiture et abandonnant son attelage.
Spartacus s’approcha, souleva les peaux qui couvraient le toit et les côtés de la voiture. Il découvrit, assis sur des tapis, un homme replet au visage rond, aux yeux vifs, qui lui tendit aussitôt une bourse. Spartacus s’en empara, la soupesa, l’ouvrit. Il y plongea la main et en retira des pièces de bronze, d’argent et d’or.
— En voyage, précisa l’homme, c’est toute ma fortune.
Il se redressa et
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