Spartacus
augures.
Le chien avait levé le museau, défiant Castricus, puis s’était éloigné dans un trottinement oblique, hurlant à intervalles réguliers ; après qu’il eut disparu entre les tentes, Castricus l’avait encore entendu.
Alors le centurion avait lancé ses ordres.
Qu’on trouve Jaïr le guérisseur, et cette chienne qui se disait prêtresse de Dionysos et devineresse.
Qu’on les conduise auprès du Thrace.
Leurs vies répondraient de celle de Spartacus. Si le Thrace mourait avant le combat ou au cours de celui-ci, ces deux-là seraient égorgés. Si Spartacus survivait, ils subiraient son sort : on les vendrait tous trois comme esclaves.
Ces paroles dites, Nomius Castricus avait fait sacrifier deux poulets sur l’autel des dieux. Le sang rouge vif avait coulé en direction de la cage où l’on faisait entrer Jaïr le Juif et Apollonia.
Les foies des poulets étaient fermes et lisses, d’une belle teinte couleur de vin.
Castricus s’était éloigné d’un pas lent, contournant la tente du tribun et se dirigeant vers la tribune du forum.
Dans l’obscurité qui tombait, il devina Galvix le Dace.
Un collier de métal, qu’une chaîne à gros anneaux rattachait au pied de la tribune, lui enserrait le cou. Ses poignets et ses chevilles étaient liés. Il était accroupi, mais Castricus se tint éloigné tant le Dace paraissait capable, en bondissant, d’arracher sa chaîne et de briser ses liens.
Son cou était si large qu’il entourait la mâchoire d’un bourrelet de muscles.
Pour vaincre et tuer cet homme-là, il faudrait l’aide des dieux.
C’est ce qu’avait dit Posidionos au tribun lorsque celui-ci lui avait montré le Dace.
— Ce n’est pas un combat que tu organises, Sabinius, avait-il protesté, mais un sacrifice. Le Thrace est blessé. Tes légionnaires lui ont brisé les côtes et lacéré la peau. Comment veux-tu qu’il résiste à cette bête monstrueuse ? Ce Barbare me fait penser à une immense pieuvre que j’ai vue sortir de l’eau au large de la Sicile. Il a les bras aussi longs que des tentacules. Ses mains sont des étaux. Tu lui offres une proie au lieu de lui opposer un adversaire.
Ses mains baguées nouées sur son ventre, le dos appuyé à des coussins, les jambes étendues sur les tapis qui couvraient le sol de sa tente, Calvicius Sabinius avait secoué la tête.
— Tu voulais le jugement des dieux ? Je te l’offre ! avait-il riposté.
Il avait écarté les paumes, les tendant vers Posidionos.
— Tu es grec et rhéteur. Tu ne peux que trouver juste mon raisonnement. Si je mets deux hommes de force égale face à face, comment savoir lequel les dieux veulent sauver ? La volonté des dieux a besoin, pour se manifester, de l’inégalité des combattants. Si ton Thrace l’emporte, les dieux se seront prononcés sans appel. Et je te promets devant Jupiter que je lui accorderai la vie, même si, autour de moi, on réclame sa mort. Il sera vendu comme esclave. N’es-tu pas satisfait ?
Le tribun s’était levé et Posidionos l’avait suivi hors de la tente.
Un chien – peut-être celui qu’avait entendu et vu Castricus – avait alors hurlé, parant le crépuscule de couleurs funestes.
— Je te concède, Posidionos, avait ajouté le tribun en posant sa main sur l’épaule du Grec, que les dieux suivent plus souvent qu’on ne le dit les choix des hommes, et qu’ils hésitent à changer ce que les hommes ont eux-mêmes préparé. Et je ne sais quel guerrier pourrait tuer le Barbare dace ! Sais-tu qu’il a brisé la nuque de cinq légionnaires, à chaque fois d’un seul coup de poing, et qu’on ne l’a capturé qu’en le couvrant de l’un de ces filets avec lesquels on prend les grands fauves ? Le centurion voulait le faire égorger ou empaler.
C’eût été comme jeter un mets savamment préparé. Nous allons le déguster dès que le Thrace pourra tenir sur ses jambes.
— Je n’ai pas d’appétit pour ce repas-là, observa Posidionos.
Il quitta le camp peu après, sans avoir revu Spartacus.
12
Jaïr le guérisseur et Apollonia ont été poussés si brutalement dans la cage qu’ils trébuchent, cependant que retombent les pieux liés qui ferment l’entrée.
Jaïr retient Apollonia, l’écarte et s’agenouille auprès de Spartacus. Il ne touche pas le corps immobile. Il semble d’abord l’envelopper de gestes lents, mains ouvertes, doigts tendus, comme s’il voulait l’en envelopper.
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