Spartacus
ouvertes comme s’il offrait son glaive, son javelot, ses poignards à ces hommes qui l’entourent, debout à sept pas, la plupart équipés de cuirasses, de boucliers, de casques romains.
Il y a Tadix, le plus grand, ses cheveux blonds lui tombant sur les épaules. Près de lui, Crixos le Gaulois et Œnomaus le Germain. Plus loin, Vindex le Phrygien et d’autres, un Espagnol, un Celte, un Gaulois de la Cisalpine, un Thrace, un Dace, et, se tenant épaule contre épaule, Curius, le maître d’armes du ludus de Capoue, Jaïr le Juif et Posidionos le Grec. Apollonia tourne autour de ces hommes, bondissante, bras levés, cambrée, comme si par des figures de danse elle voulait les enfermer dans ses sortilèges.
Spartacus croise les jambes, s’assoit et, en se penchant, place devant lui ses armes, puis pose les mains sur ses cuisses.
Crixos le Gaulois l’imite le premier, puis tous les autres font de même. Tadix est le dernier. La plupart placent leurs armes dans le creux de leur bouclier renversé devant eux. Ils ôtent leurs casques.
— Nous sommes les bergers de ce troupeau, dit Spartacus.
Il a à peine tourné la tête vers le plateau, en direction de la foule et de la rumeur qui en monte.
— Jusqu’à ce jour, les dieux nous ont été bienveillants, poursuit-il.
Tout à coup, il se lève et se met à marcher à l’intérieur du cercle, s’arrêtant souvent devant l’un ou l’autre des hommes qui l’entourent.
— Mais qui peut croire qu’ils abandonneront Rome à laquelle ils ont tout donné, la terre d’Italie et nos terres, la mer et nos peuples ? Les dieux veulent de temps à autre rappeler à Rome qu’ils sont les maîtres. Nous sommes le fouet dont ils se servent pour châtier cette ville orgueilleuse, l’effrayer, la contraindre à les respecter, à les honorer, à élever des sanctuaires et des temples en leur honneur, à faire des sacrifices pour les satisfaire.
Spartacus baisse la voix, le menton sur la poitrine.
— Mais ils ne nous ont pas choisis pour remplacer leur ville.
— Tu parles comme un rhéteur grec ! s’exclame Crixos le Gaulois. Qu’est-ce que tu veux dire ? Retire la peau de tes propos, montre-nous-en la chair !
Spartacus se dirige vers Crixos le Gaulois et s’accroupit devant lui.
— On ne vaincra jamais Rome : voilà ce que je dis. Elle peut lever des dizaines de légions. Elle a des machines de siège et des flottes, le blé de Sicile et celui d’Afrique. Nous ne sommes qu’une épine que les dieux ont fichée dans la plante de son pied. Elle l’arrachera, même si c’est difficile, même si nous faisons de ces chiens sauvages une armée !
Crixos écoute, tête baissée, puis brusquement, en se redressant, il lance :
— Mais qui veut vaincre Rome ?
Il gonfle la poitrine, regarde le ciel, bras tendus, les mains posées loin en arrière.
— Il me suffit de battre ses légats, ses préteurs, ses centuries, poursuit Crixos. De boire le vin et de manger le grain, la viande et le poisson conservés dans les celliers et les greniers de ces villes dont nous forçons les portes quand nous le voulons. Un jour, Rome sera comme un fruit pourri ; les esclaves qui y grouillent par dizaines de milliers se chargeront de tuer leurs maîtres et de la prendre. Mais nous ? La Campanie, la Lucanie sont parsemées de villes. Nous pouvons en prendre une chaque jour, Nola, Nucérie, Cumes, Abellinum, Narès… Et toutes les autres ! On dit que celles qui sont sur l’autre côte, en Apulie, en Calabre, ou bien celles qui regardent vers la Sicile, dans le Bruttium, sont plus dodues encore. Leurs greniers débordent. Les quais y sont encombrés de tonneaux de vin. Les femmes y sont si nombreuses que chacun peut en posséder plusieurs, et différentes chaque jour. Qui pense à Rome ? Laisse-nous jouir ici, sur les terres qui sont nôtres, maintenant, et qu’on nous envoie encore un légat, des préteurs, des consuls ! Nous brandirons leurs têtes au bout de nos javelots, et les légionnaires que nous n’aurons pas égorgés déserteront !
— D’autres légions viendront, objecte Jaïr le Juif. Elles vous surprendront quand vous serez endormis, ivres, entre les bras de vos femmes. C’est vous qu’on égorgera !
Tadix menace Jaïr du poing, d’autres l’injurient. Ce n’est qu’un couard, crient-ils. On ne l’a jamais vu combattre. Lui et le rhéteur grec, quels maîtres romains ont-il tués ? Qui peut dire qu’ils ne sont pas
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