Spartacus
l’horizon s’éclaire tandis qu’un reste d’obscurité s’accroche aux versants des vallées, aux arbres des vergers.
Au premier rang, en avant de la foule qui s’avance, il aperçoit Crixos le Gaulois, puis, quelques pas en arrière, Œnomaus le Germain, Vindex le Phrygien, et, dominant la troupe des épaules et de la tête, Tadix, gaulois de Cisalpine.
Ils marchent lentement, le javelot, le glaive, la lance ou l’épieu sur l’épaule droite, le bouclier suspendu au bras gauche.
La foule des esclaves s’est rassemblée sur les bas-côtés du chemin, les femmes se tenant au bord, les hommes en retrait.
On n’entend que le piétinement de la troupe qui s’approche de Spartacus, et ce martèlement sourd rend encore plus dense le silence qui écrase le plateau.
Crixos lève la main et la troupe s’arrête.
Il s’avance vers le Thrace et s’immobilise à un pas.
— Ceux-là me suivent, dit-il.
— Tu les conduis à la mort, Crixos.
— Écarte-toi ! Laisse-nous le passage.
— Je veux que chacun de ces hommes me regarde. Je veux voir leurs visages à tous !
— Tu me défies, Spartacus ?
Crixos empoigne son glaive, commence à le tirer du fourreau, puis, violemment, le rengaine.
Il se tourne, fait face à ses hommes qui forment dans l’aube naissante un bloc noir hérissé du brillant éclat des armes.
— Spartacus vous salue ! lance Crixos.
Il sort son glaive, le brandit ; les hommes dressent leurs armes, puis quelqu’un crie, et tous, agitant leurs javelots, leurs lances, leurs pieux, leurs glaives, hurlent, et cette avalanche entraîne la foule qui hurle à son tour. Les femmes dansent. Juchés sur les rochers qui surplombent le chemin, les hommes saluent la troupe.
Elle se remet en marche sur un signe de Crixos qui s’est placé près de Spartacus. Celui-ci, figé, regarde droit devant lui les hommes qui s’approchent, qui hésitent, une fois en face de lui, puis, comme un flot qui rencontre un obstacle, s’écartent, leur flux se partageant en deux.
La plupart baissent la tête ou détournent le regard et, alors qu’ils étaient arrivés en criant et en gesticulant, ils se taisent sitôt qu’ils se trouvent à quelques pas de Spartacus et de Crixos. Peu à peu, le silence étreint à nouveau la foule cependant que la troupe continue de défiler – plusieurs milliers d’hommes, les uns revêtus des dépouilles des soldats romains, les autres à demi nus.
Lorsque les derniers sont passés, Crixos le Gaulois rengaine le glaive qu’il avait tenu le long de son corps, lame nue, prêt à frapper.
— Tu les as vus, dit-il. Ils sont avec moi comme des hommes libres.
Il s’éloigne, rejoint les derniers rangs de la troupe.
— J’ai vu des morts, murmure Spartacus.
Mais seuls restent à l’entendre Posidionos le Grec, Jaïr le Juif et Curius, le maître d’armes.
38
— C’est maintenant qu’il faut les frapper, les écraser, dit le préteur Varinius.
Il est assis à l’extrémité de la longue table basse qui occupe le centre de la pièce. Près de lui, la poitrine appuyée au rebord de la table, le tribun de la VII e Légion, Calvicius Sabinius, tend le bras vers l’un des plats que les esclaves viennent de déposer. Il hésite, ses doigts frôlent les grives grasses, les cuisses de lièvre, les poissons couverts d’aromates, les laitues et les champignons.
— Ils se sont divisés, poursuit Varinius. Une bande marche vers l’Apulie, une autre se dirige vers le nord.
Il tourne la tête, attend que les esclaves aient déposé sur la table d’autres plats chargés de fruits secs ainsi que les pichets de vin, puis, d’un signe, leur commande de sortir.
Il se penche. À l’autre bout de la table sont assis les deux consuls, Gellius Publicola et Cornélius Claudius, et, se faisant face de chaque côté, les deux préteurs, Cneius Manlius et Quintus Arrius.
— Je sais…, reprend Varinius.
Il s’interrompt et, comme on chasse des bêtes importunes, ordonne aux deux derniers esclaves de quitter la pièce.
— … Même ici, à Rome, je me méfie, explique-t-il. Ils nous écoutent. Ils nous guettent. Demain, l’un d’eux s’enfuira, rejoindra ces bandes, rapportera ce qu’il a entendu. Tu devrais, consul, en livrer une paire au bourreau. Les autres se souviendraient qu’ils ne sont rien. Moins que nos chiens !
— Tu dis savoir ? l’interroge Gellius Publicola.
Le consul a parlé d’une voix exténuée de
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