Spartacus
est enfoncé, rampant en elle échappant au cadavre de sa monture, repoussant les dépouilles des licteurs, des soldats, s’agrippant à elles pour avancer de quelques pas, atteindre enfin cette berge, pouvoir fuir avec quelques hommes, tout ce qui restait d’une armée, et s’enfermer dans la forteresse de Cumes.
Les rats étaient venus se jeter contre les murailles, tenter de les escalader, d’en forcer les portes. Il avait fallu les repousser sous des avalanches de pierres et de flèches, sans même prendre le temps de nettoyer son corps, de racler cette boue séchée rougie par le sang des licteurs.
Varinius rouvre les yeux.
La grande salle du caldarium qui se trouve au centre des thermes est envahie par une buée gluante et grisâtre.
Il y devine à peine les silhouettes des esclaves.
Il entend d’abord le clappement de leurs pieds sur les dalles de marbre. À chaque fois, il se raidit, rentre la tête dans les épaules comme pour protéger sa gorge. Ses mains tâtonnent sur les rebords du bassin. Ses doigts glissent sur la pierre humide, s’affolent. Il se souvient qu’il a laissé ses armes en même temps qu’il se dévêtait.
Il est nu, comme ces cadavres des centuries de Furius et de Martial Cossinius qu’il a découverts, mutilés, rongés, dévorés par ces bêtes sauvages, ces dizaines de milliers de rats.
Il laisse son dos glisser le long de la paroi de porphyre du bassin. Il est tenté de plonger la tête sous l’eau, de disparaître, d’échapper ainsi à ces esclaves qui s’approchent, peut-être devenus à leur tour des rats furieux qui vont l’égorger. Ils ne sont plus ces animaux dociles qui rampent, le regard mort. Ils ne baissent les yeux que lorsqu’on menace de les fouetter, de les crucifier, mais ils s’inclinent de mauvaise grâce, et toute leur attitude est chargée de haine.
L’envoyé du Sénat l’a confirmé à Varinius.
Ce tribun de la VII e Légion, Calvicius Sabinius, qu’accompagne son centurion primipile, Nomius Castricus, a rapporté que, tout au long de la route entre Rome et Cumes, rôdaient des bandes d’esclaves qui avaient quitté leurs domaines, pillé les villas, tué leurs maîtres, éventré les femmes après les avoir violées. Plus aucun patricien ne se sentait en sécurité chez lui, tous levaient des milices pour se protéger de leurs esclaves, défendre plus que leurs biens, leurs vies.
Et le Sénat exigeait que l’on en finisse avec cette guerre humiliante pour la République.
Et périlleuse : Rome avait en effet besoin des récoltes de Campanie et de Lucanie. Il fallait assurer les distributions de blé à la plèbe romaine sous peine de voir éclater une guerre sociale qui risquerait de relayer la guerre servile.
Le tribun Calvicius Sabinius a longuement interrogé Varinius, semblant ne pas même s’apercevoir que le préteur était couvert de boue et de sang, qu’il boitait, sa jambe gauche peut-être brisée, le flanc douloureux de l’épaule au pied, et que l’humiliation qu’il avait subie était trop vive encore pour qu’il pût répondre sereinement aux questions de l’envoyé du Sénat.
— On dit, s’est-il écrié en s’avançant vers le tribun Sabinius, que c’est toi qui, en Thrace, as laissé en vie ce Spartacus qui saccage maintenant l’Italie. Que veux-tu savoir ? Tu le connaissais ! Tu le tenais en cage, m’a-t-on dit, et tu lui en as ouvert la porte ! Et des milliers, des dizaines de milliers d’esclaves, de gladiateurs en fuite, de déserteurs, oui, de nos propres soldats, et le maître d’armes du ludus de Capoue, et un rhéteur grec, Posidionos, que tu connais aussi, l’ont rejoint. Il est habile. Il n’ignore rien de l’art de la guerre. Peut-être est-ce Posidionos qui le lui a enseigné. J’ai vu son œuvre de près : les cadavres de nos soldats, des milliers de corps nus !
Varinius a expliqué à grands cris qu’il était tombé dans le piège que Spartacus lui avait tendu. Le Thrace s’était dérobé, quittant son camp, qui n’était qu’un leurre, puis l’avait attaqué sur ses flancs et ses arrières.
— Il faut des légions, de nombreuses légions ! a martelé Varinius. Sinon, il s’emparera des villes. À Cumes, ces rats sont venus nous défier en hurlant sous nos murailles. Pourquoi n’attaqueraient-ils pas Rome ? Il suffirait – il a tendu le bras vers Calvicius Sabinius – que les esclaves, ces dizaines de milliers d’esclaves qui couchent dans
Weitere Kostenlose Bücher