Spartacus
vieil homme. Il s’essuie lentement les lèvres du revers de la main, et ce seul geste semble l’avoir épuisé. Il ferme les yeux. Il chuchote.
— Que sais-tu donc ? insiste-t-il.
— C’est le gladiateur thrace, ce Spartacus qui a tué tous mes licteurs, qui guide la bande en marche vers le nord, répond Varinius.
Il boit, tend sa coupe au tribun Sabinius qui boit à son tour.
— Spartacus a promis à ceux qui le suivent de leur faire passer les Alpes et de les reconduire là où nous les avons pris, en Thrace, en Gaule, en Germanie.
— Cesse donc de croire à ces folies ! lance le préteur Quintus Arrius.
Il s’emporte, dit qu’il est ridicule de trembler devant quelques milliers d’esclaves qui ne sont forts et menaçants que du fait de la faiblesse ou de l’impuissance de ceux qui les ont affrontés.
Il s’incline vers Varinius.
— Je ne parle pas pour toi, Varinius. Mais les autres – le préteur Glaber, le légat Furius, et ce préteur, Cossinius –, crois-tu qu’ils ont conduit leurs légions, leurs centuries comme ils le devaient ? Les soldats se sont débandés, ont déserté. Leurs chefs n’ont pas su se faire craindre et obéir. Le Sénat vient de décider de lever six légions. Crois-moi, Varinius, Publicola et moi, Claudius et Manlius sommes décidés.
Il lève sa coupe, la tend à Sabinius puis à Varinius.
— Joignez-vous à nous. Nous allons traquer ces bêtes pour nourrir les fauves de nos arènes. Qui chasserais-tu d’abord, Varinius ?
— La bande qui saccage l’Apulie, répond Varinius après une hésitation. Ils sont une dizaine de milliers. Ce sont surtout des Gaulois et des Celtes, accompagnés de quelques Germains et Phrygiens, et surtout d’un troupeau de femmes. Ils s’élancent comme des bêtes furieuses, mais leurs têtes sont vides et ils ne recherchent pas la victoire, seulement le pillage. Entre deux combats, ils sont ivres, ils dorment, ils digèrent, ils se battent entre eux pour se partager les femmes.
— Nous n’en laisserons aucun vivant, dit Quintus Arrius.
— Et ce Spartacus ? questionne le consul Claudius.
— Celui-là sait se battre, marmonne Varinius.
— Six légions, six légions ! Crois-tu vraiment qu’il puisse nous échapper ? s’exclame Quintus Arrius.
Varinius saisit sa coupe à deux mains et boit lentement, la tête rejetée en arrière.
39
Publius Varinius s’avance lentement au milieu des cadavres.
Ils sont si nombreux qu’ils couvrent tout le rivage sableux de la plaine d’Apulie.
Certains sont entraînés et repoussés par les vagues.
D’autres s’amoncellent sur les pentes du mont Gargan où se sont livrés les derniers combats.
Là sont morts les Gaulois.
Varinius s’arrête et contemple le sommet du mont.
Il se souvient de ce géant qui faisait tournoyer son glaive, qui rugissait, qui d’un seul coup envoyait voler la tête d’un des soldats qui l’encerclaient, lançant leurs javelots, tentant d’éviter sa lame.
Varinius avait crié : « Je le veux vivant ! »
Il avait imaginé cette bête fauve offerte aux sénateurs, jetée dans une arène, sacrifiée aux dieux pour les remercier de la victoire.
Mais le géant avait tout à coup disparu. Varinius s’était approché, avait interrogé les soldats qui pansaient leurs blessures, s’accrochaient à la hampe de leur javelot pour ne pas s’affaisser.
Cela faisait trente jours qu’ils avaient quitté Rome, marchant sur la via Appia jusqu’à Capoue, puis sur les chemins qui, à travers les massifs qui dominent les vallées du Vultume et du Silanus, mènent en Apulie.
Devant eux, saccageant et brûlant domaines et demeures, vergers et villes, fuyait le troupeau conduit par Crixos le Gaulois, Œnomaus le Germain, Tadix le géant, Vindex le Phrygien.
Les éclaireurs des légions avaient réussi à capturer quelques hommes qui traînaient derrière cette cohorte. Après qu’on les eut fouettés, mutilés, ils avaient livré ces noms-là comme on lance un défi, pour qu’on les égorge plus vite. Mais on ne leur avait pas accordé cette grâce, les laissant agoniser, livrés aux loups et aux rapaces.
Et les combats avaient commencé.
Il avait fallu tuer chacune de ces bêtes mâles ou femelles, aucune n’avait demandé grâce ; quelques-unes, avant d’être abattues, s’étaient percé la poitrine avec leurs glaives, la plupart s’étaient jetées contre les lances, les javelots, les lames des
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