Spartacus
soldats, essayant de les leur arracher, cherchant eux-mêmes la mort.
Le consul Gellius Publicola avait donné l’ordre d’égorger tous les survivants, mâles, femelles, enfants – parce qu’il y avait des enfants dans ce troupeau que les légions pourchassaient en Apulie et qu’elles avaient enfin acculé dans cette presqu’île que surplombe de mille pas le mont Gargan.
Au sommet, Varinius avait continué à chercher le corps du géant cependant que les soldats déjà le quittaient, comme effrayés par la nuée blanc et noir de volatiles aux ailes immenses, cachant le ciel, et dont le bec effilé, les griffes acérées commençaient à déchiqueter les corps.
Varinius n’avait pas trouvé le géant, peut-être enseveli sous d’autres corps ou bien ayant roulé le long de la falaise qui plongeait à pic dans la mer.
À moins qu’un oiseau ne l’eût enlevé ? à moins qu’il n’eût sauté, accueilli par Neptune ?
Qui peut connaître le dessein des dieux ?
Varinius redescend la pente du mont Gargan.
Il s’immobilise à chaque fois qu’un cadavre lui cache son visage.
Varinius se penche. De la pointe de son glaive, il écarte le bras du mort replié sur ses yeux. Ou bien, avec le pied droit, la jambe gauche bien calée, il retourne le corps, le roule afin de le remettre sur le dos. Parfois, pour y parvenir, il s’accroupit, pousse le corps avec ses mains, puis, quand il a enfin réussi, fixe les traits du trépassé.
Ces bêtes sauvages, ces esclaves ont figure humaine.
Il se redresse, fait quelques pas, s’arrête à nouveau, recommence avec une sorte de rage, des gestes saccadés.
Aucun de ces visages figés, certains mutilés, d’autres couverts de sang séché, n’est déformé par le rictus de la peur, de cette peur panique dont il sait qu’elle l’avait défiguré, lui, quand il avait gravi, avec ses licteurs, la berge du Vultume, poursuivi par les esclaves, et que le flanc de son cheval l’avait écrasé, qu’il avait cru un instant ne pas pouvoir se dégager, fuir – et il avait gardé cette peur collée à lui alors qu’il avait regagné Cumes.
À chaque fois qu’un esclave s’était approché, dans le caldarium des thermes, ou même dans la villa palatine du consul Gellius Publicola, il avait craint que l’un des serviteurs, mâle ou femelle, ne se jette sur lui, armé d’un poignard.
Varinius marche à présent le long du rivage. Les vagues ont lavé les cadavres et les blessures ne sont plus que des lignes sombres entaillant la peau.
Il se penche.
Les visages humains de ces bêtes sauvages sont apaisés, comme si elles avaient accueilli la mort avec le courage et la sagesse d’un rhéteur qui se soumet à la volonté des dieux.
Varinius saisit son glaive à deux mains, le lève droit au-dessus de sa tête et commence à frapper à grands coups aveugles sur ces cadavres.
Le sang jaillit, l’écume redevient un bouillonnement rouge, mais quelques vagues suffisent à tout effacer, et les visages, même fendus par la lame, continuent d’exprimer cette quiétude qui défie Varinius.
Il marche sur le sable humide à grands pas, frappe de droite et de gauche. Les oiseaux aux becs jaune et noir, aux amples ailes, semblent l’encourager de leurs cris perçants.
40
Assis sur un rocher à la limite de la forêt de pins qui couronne le massif où les esclaves qui l’ont suivi se sont rassemblés, Spartacus regarde les feux s’allumer au loin, dans la plaine d’Apulie, vers la masse noire du mont Gargan dressée au bord de la mer.
Il se penche en avant. Bras repliés, coudes sur les cuisses, poings sous le menton, yeux plissés, tendu, il donne l’impression de vouloir deviner, entre ces brasiers qui scintillent dans la pénombre de la fin du jour, l’alignement des tentes, les allées et les palissades, les tours de guet des camps romains.
Il imagine le chemin de ronde qui va d’un feu à l’autre, dessinant ce carré au centre duquel brûle un cinquième feu, le plus vif, devant les tentes du tribun, du préteur, du légat et du consul.
À proximité de ce premier quadrilatère, des feux en dessinent deux autres.
— Trois camps, murmure Spartacus en se tournant vers Jaïr le Juif, debout aux côtés de Posidionos le Grec et de Curius, le maître d’armes du ludus de Capoue. Trois légions, ajoute-t-il. Elles allument leurs feux. Elles sont sûres d’elles. Elles ont déjà vaincu Crixos.
Il baisse la tête. Ses
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