Spartacus
tient pas pour les batailles antiques : tout au plus un combattant peut-il recevoir une profonde balafre au visage. Le roi Philippe de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand, en a fait lui-même l’expérience en y laissant un œil. Pourtant, aucune blessure de ce type ne peut rendre un homme totalement méconnaissable.
De plus, que faut-il penser des détails donnés par Appien sur les derniers instants de Spartacus ? L’historien grec nous rapporte qu’il a été blessé à la cuisse d’un coup de flèche, qu’il est ensuite tombé sur son genou et qu’il s’est encore battu en se protégeant de son bouclier. Plutarque pour sa part rapporte qu’il a tué deux centurions. Pour lui attribuer ces hauts faits, il fallait bien que des témoins le reconnaissent. Comment ces actions d’éclat ont-elles pu être rapportées si personne n’a pu identifier le cadavre ?
Comme on le voit, la fin de Spartacus laisse planer un certain mystère. Il serait donc tentant de l’imaginer survivant à la bataille, mais cette hypothèse ne tient pas plus que les autres. Une fuite en abandonnant ses troupes correspond mal au personnage. De plus, il semble bien que Spartacus soit au cœur de la mêlée, à une place où aucune retraite n’est possible. On sait également que quelques milliers d’hommes échappent au carnage et s’enfuient ce jour-là. Un certain nombre se regroupent et reprennent la marche vers le nord. Spartacus survivant aurait certainement continué à guider ces hommes, mais d’après Salluste le chef de la dernière bande s’appelle Publipor.
Même si les auteurs modernes ont unanimement accepté la version d’Appien, cette question de la non-identification de la dépouille de Spartacus ne peut pas être retenue. Pour expliquer que les Romains ne retrouvent pas sa trace, il faudrait imaginer que le chef rebelle se soit dépouillé de ses insignes de général après avoir tué son cheval. Qu’il soit parti à la bataille équipé comme un simple soldat, qu’aucun des survivants n’accepte de l’identifier et que ses derniers instants aient été inventés par Plutarque et Appien. Il reste peut-être une dernière solution, moins romantique mais plus plausible. La disparition du cadavre de Spartacus n’est mentionnée que par le seul Appien. En se fondant sur le silence de ses prédécesseurs, l’historien, qui n’est pas à une approximation près, a très bien pu forger lui-même ce détail, contredit par les informations qu’il donne par ailleurs sur les derniers instants de Spartacus. Tous les autres auteurs éludent la question et ne disent rien de la découverte ou de la disparition du cadavre. Il se peut donc que les Romains aient effectivement reconnu le corps sans en faire aucun cas, et sans lui décerner aucun honneur posthume ; n’oublions pas qu’il s’agit d’un chef d’esclaves rebelles et non d’un adversaire de marque. Une fois dépouillé de ses armes, le corps sans vie de Spartacus a sans doute été abandonné aux corbeaux et aux charognards. Il pourrira rapidement au milieu de milliers d’autres cadavres qui ne jouiront d’aucune sépulture. Cette solution expliquerait qu’il y ait bien eu des Romains témoins de ses derniers moments pour rapporter ses ultimes actions d’éclat. Comme la question du corps n’a été ensuite évoquée par personne, Appien a pu en déduire de manière hasardeuse qu’il n’a pas été identifié. Il ouvrait ainsi la porte à toutes les spéculations et à tous les fantasmes romantiques.
20
Deux vainqueurs et 6 000 croix
Le supplice de la croix
Une fois le gros des troupes anéanti, il fallait encore écraser les survivants afin que ces quelques braises n’aient pas le temps de provoquer un nouvel incendie. D’après Appien, « les nombreux fuyards qui se sauvèrent de la bataille allèrent chercher un asile dans les montagnes : Crassus les y poursuivit. Ils se distribuèrent en quatre bandes, qui se battirent jusqu’au moment où ils furent totalement exterminés ». La plupart des fugitifs doivent se retrouver sans guide. Dispersés par petits groupes totalement déstructurés, ils ne peuvent résister bien longtemps. En des termes un peu différents, Orose confirme l’achèvement de la révolte par les lieutenants de Crassus : « Le reste qui avait échappé à ce combat errait çà et là fut écrasé par plusieurs généraux grâce à un étroit quadrillage. » Ces lambeaux de l’armée de
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