Spartacus

débâcles pour ses adversaires, le nombre de prisonniers n’a pas pu être aussi important. De plus, on sait le sort réservé aux militaires captifs. Certains sont morts en « gladiateurs » tandis que d’autres ont été égorgés après la volte-face de la plaine du Pô. Il s’agit donc plus probablement de riches civils capturés dans les domaines pillés ou de voyageurs qui ont eu la malchance de croiser l’armée des esclaves. Entraînés dans leur course éperdue, ces prisonniers devaient sans doute être rendus à leur famille contre une forte rançon pour les plus riches, ou vendus comme esclaves pour les autres. Ces captifs faisaient peut-être même partie du butin que Spartacus avait promis aux pirates pour prix du passage en Sicile. Quoi qu’il en soit, la présence de ces 3 000 captifs entame encore un peu plus l’image mythique d’un révolutionnaire visionnaire qui aurait aboli l’esclavage avec 2 000 ans d’avance…

    Où est passé le corps de Spartacus ?
    La question de la dépouille de Spartacus a également contribué à alimenter le mythe. D’après Appien, « il fut impossible de retrouver le corps de Spartacus ». Cette simple phrase participe grandement à la construction de la légende, mais il faut poser la question de sa crédibilité. Le fait que Spartacus combatte à pied durant l’ultime engagement explique en partie cette énigme : un général à cheval peut être vu par des dizaines de soldats victorieux avant d’être tué et son corps facilement retrouvé ; en revanche, un combattant à pied passe presque inaperçu et les quelques témoins directs de sa mort peuvent être dispersés ou tués dans la continuité de la bataille. La disparition du corps de Spartacus peut donc s’expliquer ainsi, mais certains problèmes demeurent. On sait qu’il avait repris à son compte les emblèmes des légions vaincues. On imagine mal qu’il ne se soit pas attribué quelques marques distinctives de commandement prises sur les dépouilles des officiers supérieurs romains. Il faut se rappeler que, dès le début de l’aventure, le préteur Cossinius a été tué alors qu’il s’enfuyait tout nu après la bataille livrée en Apulie. Il est difficilement imaginable que Spartacus ne se soit pas approprié cette tenue d’officier supérieur. Comment alors ne pas distinguer d’entre les morts ce cadavre couvert de blessures malgré sa cuirasse musclée et son casque d’inspiration hellénique ? Ses armes ne devaient pas non plus être ordinaires… Cette difficulté peut cependant être levée. Si, comme on peut le supposer, Spartacus a tenté une poussée désespérée en direction de Crassus avec l’élite de ses combattants, il serait logique qu’il ait renoncé à porter ses insignes distinctifs de commandement. En agissant ainsi il évitait d’être pris pour cible et se donnait une chance supplémentaire d’atteindre le préteur.
    Malgré tout, un autre point curieux demeure : Crassus fait 6 000 prisonniers à l’issue de cette bataille et tous connaissent forcément le visage de Spartacus. Même les recrues les plus récentes faites dans le Picenum l’été précédent ont passé plus de six mois à ses côtés. De plus, l’armée de Spartacus a été prisonnière de la pointe du Bruttium pendant plusieurs semaines ; dans l’espace exigu où ils étaient cernés, chaque soldat a pu contempler son chef de près au moins une fois. Il semble donc curieux qu’aucun prisonnier n’ait accepté de désigner le corps de Spartacus. Stanley Kubrick a d’ailleurs forgé à partir de ce postulat l’une des images les plus fortes de son film dédié à la gloire du général des esclaves. Le héros se trouve parmi les 6 000 prisonniers (ce qui va à l’encontre du témoignage des auteurs anciens) ; pour dissimuler son chef, chaque esclave survivant se lève et se désigne lui-même comme étant Spartacus. Belle image de solidarité tout empreinte d’un romantisme viril… mais assez peu crédible. Toutes les armées du monde ont leur Judas et la perspective d’échapper au supplice de la croix peut susciter des vocations. Alors comment expliquer la disparition du cadavre de Spartacus ou sa « non-identification » ? Peut-être aura-t-il été défiguré au combat ? L’hypothèse vaudrait pour la guerre de 14-18 avec son cortège de « gueules cassées » et ses milliers d’hommes au visage broyé par un éclat d’obus, mais cette proposition ne