Spartacus
chiffre beaucoup plus faible : d’après lui Crassus « tua douze mille trois cents de ces esclaves ». L’auteur suit sur ce point les chiffres qu’il a donnés précédemment : en effet Plutarque estime à seulement 30 000 le nombre d’hommes qui franchissent la ligne Crassus avec Spartacus. Ce nombre est peu crédible, car il n’est corroboré par aucun des autres auteurs. En face, les pertes des Romains sont de toute façon infiniment moins lourdes, même si elles ne sont pas négligeables. D’après Appien, « il périt environ mille Romains ». Ce différentiel de pertes, de un à soixante, peut surprendre et certains auteurs modernes mettent en doute ces bilans chiffrés en les soupçonnant de servir la propagande romaine. A y regarder de plus près, un tel résultat peut se comprendre. Dans les batailles antiques, une armée qui a le dessous est souvent prise de panique. Dans ce cas ses lignes se disloquent et chacun cherche son salut individuellement. Pour les Grecs, le mot « panique » se rattache au dieu Pan. Cette divinité ambiguë, mi-homme mi-bouc, passerait dans les rangs des soldats en leur faisant perdre toute raison. En cas de panique, la défaite tourne au carnage. Le vainqueur, qui a tenu ses rangs et est appuyé par une solide cavalerie, extermine sans aucun risque des hommes qui ont lâché leurs armes. Le massacre peut également intervenir lorsque d’habiles manœuvres permettent d’encercler le vaincu. Les auteurs ne le disent pas, mais c’est probablement ce qui s’est passé ici. Il est probable que la supériorité numérique de Crassus et son net avantage en termes de cavalerie lui aient permis de refermer ses ailes sur Spartacus, emprisonnant ainsi l’essentiel de son armée dans un étau. Contrairement aux armées classiques, les hommes du Thrace ne se sont pas débandés et n’ont pas déposé les armes, préférant mourir après avoir infligé le plus de pertes possible aux Romains ; les 1 000 morts dont parle Appien ne sont pas négligeables, même s’ils sont bien inférieurs aux pertes des esclaves.
Pour comprendre la faiblesse des pertes annoncées par les Romains après leurs victoires il faut aussi prendre en compte une donnée importante. Un légionnaire blessé a la possibilité de se retirer du front sans briser sa ligne et d’être pris en charge par les chirurgiens de la légion. Les coups directement mortels sont rares lors des batailles antiques. La plupart du temps, les soldats sont blessés par une flèche ou souffrent de profondes entailles au mollet ou à l’avant-bras. Ces blessures faisant perdre beaucoup de sang, les soldats qui doivent continuer à se battre s’effondrent au bout de quelques secondes et sont alors facilement achevés. En revanche, s’ils peuvent quitter la ligne assez vite pour être soignés, ils peuvent survivre à leurs blessures et diminuer ainsi le nombre de morts. L’adversaire ne jouit pas d’un tel avantage. Tous les blessés de l’armée vaincue sont systématiques achevés. C’est cette organisation performante qui fait la force de la légion. Grâce à elle, les chiffres enregistrés au soir de la bataille peuvent paraître étonnamment faibles mais doivent être tenus pour vraisemblables dans la plupart des cas. Ainsi on comprend mieux la signification des 1 000 morts reconnus par Crassus. Il s’agit de ceux qui ont été tués dans le feu de l’action, sans que les médecins militaires aient pu intervenir. Il ne reste que des fragments infimes du récit que Salluste fait de cette ultime bataille, mais une phrase nous est parvenue à propos des soldats de Spartacus. Selon lui aucun « ne périt lâchement et sans vengeance »… De toute évidence, cette ultime bataille a été particulièrement acharnée et digne de la brutalité particulière de cette guerre des esclaves.
Aucun auteur ne parle du butin récupéré dans le camp de Spartacus mais il est probable que les Romains ont pu retrouver les emblèmes perdus par les légions lors des précédents engagements ; avec les aigles reprises dans les bagages des Gaulois, Crassus parachève l’effacement des humiliations subies par ses prédécesseurs. Au chapitre du bilan de la bataille, les Romains ont un autre motif de satisfaction. D’après Orose, « 3 000 citoyens romains furent repris ». L’historien souligne bien qu’il s’agit de citoyens et non pas de soldats. Les victoires de Spartacus s’étant soldées par des
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