Staline
les maux en soumettant l’appareil d’État au contrôle systématique
de l’Inspection ouvrière et paysanne, bientôt forte de plusieurs dizaines de
milliers de membres et rongée par le mal même qu’elle est censée combattre.
Pendant les deux ans où il la dirige, jusqu’en avril 1922, Staline y
constitue une équipe de fidèles, accumule les dossiers et se pose en protecteur
de l’appareil qu’il est supposé contrôler.
Quelques mois plus tôt, il a déménagé au Kremlin dans un
appartement un peu plus grand, mais à l’ameublement à peine moins spartiate ;
et surtout, il dispose désormais d’une villa le long de la Moskowa, dite
Zoubalovo, du nom de son ancien propriétaire, Zoubalov, patron du pétrole de
Batoum et de Bakou. À la fin de 1919, le gouvernement, après avoir confisqué et
transformé en foyers ou maisons de repos les villas dont les propriétaires ont
péri ou émigré, a en effet attribué une douzaine d’entre elles à des membres du
Bureau politique. Zoubalovo est divisé en parcelles : Zoubalovo-2 va à
Mikoian, Zoubalovo-3 à Vorochilov, et Zoubalovo-4 à Staline qui l’occupera
jusqu’à la fin de 1929 après avoir fait abattre la moitié de la forêt entourant
la villa afin de dégager la vue.
Pour le moment, il n’a guère le loisir d’en profiter. Le 25 avril 1920,
en effet, au lendemain d’un accord avec le nationaliste ukrainien Petlioura, le
chef polonais Pilsudski, flanqué d’une mission militaire française dirigée par
le général Weygand, assisté du capitaine Charles de Gaulle, envahit une Ukraine
épuisée. Il vole d’abord de victoire en victoire, prend Jitomir et Berditchev
le 25, Moghilev le 28, Kiev le 6 mai : toute la moitié occidentale de
l’Ukraine est entre ses mains. Mais l’invasion polonaise ravive la profonde
aversion des paysans de la région pour le Polonais : l’Armée rouge s’appuie
sur leur résistance pour lancer à la fin de mai sa contre-offensive sous le
commandement de Toukhatchevski, jeune aristocrate de 27 ans, ancien
lieutenant de l’armée tsariste, rallié de tout coeur au régime.
Les derniers trains soviétiques brinquebalants amènent
cahin-caha des renforts. Le front Sud-ouest est divisé en deux : sur une
partie l’Armée rouge contient mollement Wrangel en Crimée, et sur une autre,
dirigée par le général Iegorov et Staline, elle fait face à l’aile droite de l’armée
polonaise. La contre-offensive de l’Armée rouge bouscule les Polonais et
suscite un instant chez Staline une vision euphorique, rare chez lui, de la
révolution mondiale. Il dessine à Lénine la perspective grandiose d’une
confédération soviétique européenne où « les futures Allemagne, Pologne,
Hongrie, Finlande soviétiques, ayant leur structure d’État, leur armée, leurs
finances, une fois devenues soviétiques, il est peu probable que ces
nationalités acceptent d’un seul coup un lien fédéral avec la Russie soviétique
du type bachkir ou ukrainien », mais elles pourraient s’unir avec la
Russie soviétique dans une confédération incluant aussi « les nationalités
arriérées comme la Perse, la Turquie [341] ».
Staline, rêvant d’une Confédération soviétique européenne, est à cent lieues de
théoriser le socialisme dans un seul pays. Mais son rêve va bientôt se briser…
Au début de juillet, l’Armée rouge arrive aux abords de la
frontière polono-russe telle qu’elle avait été proposée en 1919 par le
diplomate anglais Curzon. Faut-il poursuivre et envahir la Pologne ?
Trotsky, Rykov et Radek sont contre ; Staline aussi. Il explique : en
Pologne, « les conflits de classe n’ont pas atteint une tension suffisante
pour briser l’unité nationale », et il dénonce « la forfanterie et la
complaisance dangereuse de certains camarades [qui] réclament en braillant une
marche sur Varsovie [342] ».
Après cette analyse clairvoyante, il se rallie à la position de Lénine,
convaincu que l’avance de l’Armée rouge en Pologne va soulever les ouvriers et
les paysans et, par contagion, embraser l’Allemagne. Lénine demande donc « une
accélération furieuse de l’offensive » contre la Pologne pour sonder l’Europe
avec la baïonnette de l’Armée rouge [343] .
Staline préfère voter avec Lénine plutôt qu’avoir raison. Puis il retourne à
Kharkov, au siège de son état-major.
Les succès initiaux de l’offensive l’enthousiasment. Le 13 juillet,
il
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