Staline
de peuples différents aux aspirations nationales
diffuses. Malgré l’ampleur et la complexité de la tâche, le Comité central
refuse sa démission du Comité militaire de la République.
À la mi-octobre, il descend dans le Caucase, qu’il sillonne
pendant un mois. Il y rencontre ses amis Ordjonikidzé, responsable du Bureau
caucasien du Parti et de la XI e armée caucasienne, qui, depuis
toujours, lui envoie en double (ainsi qu’à Lénine) télégrammes, lettres et
notes sur la situation dans la région, et Serge Kirov, nommé à la tête du Parti
communiste d’Azerbaïdjan. Fin avril 1920, la XI e armée a
envahi l’Azerbaïdjan, exsangue après deux ans et demi d’invasion britannique et
turque, et de massacres entre Arméniens et Azéris. La République soviétique d’Azerbaïdjan
est proclamée à Bakou le 28 avril. Le 30 octobre, Staline est à
Bakou. Serge Kirov lui fait décerner le titre inhabituel de « chef de la
révolution prolétarienne dans le Caucase et en Orient ». Le 6 novembre,
Staline prononce devant les cadres communistes de la région un discours exalté.
Il chante « l’Armée rouge qui écrase l’ennemi, le parti de 700 000 membres
à la cohérence d’acier », mais aussi l’Orient, qui s’est enfin mis en
mouvement, puis s’écrie : « Paraphrasant les paroles fameuses de
Luther, la Russie pourrait dire : "Je me trouve à la frontière entre
le vieux monde capitaliste et le nouveau monde socialiste, et ici, sur cette
frontière, j’unis les efforts des prolétaires de l’Occident et les efforts de
la paysannerie de l’Orient pour écraser le vieux monde. Que le dieu de l’histoire
me vienne en aide !" [355] »
Il vit donc toujours, comme les autres dirigeants bolcheviks, dans la
perspective et l’attente de la révolution mondiale.
Son périple caucasien et ses rencontres avec Ordjonikidzé,
aussi impatient que lui, aiguisent sa volonté de conquérir l’Arménie et, tâche
plus délicate, d’arracher la Géorgie aux mencheviks, ses ennemis de jeunesse,
appuyés avant-hier par les baïonnettes allemandes, hier par les fusils
britanniques. La Russie avait signé, le 7 mai 1920, un accord
reconnaissant son indépendance. Lénine hésite à le violer. Staline, qui pilote
ces deux opérations douteuses, consolide à cette occasion sa complicité avec
Ordjonikidzé et Kirov. Le 17 novembre, Staline propose à Lénine par
télégramme de concentrer des forces armées en un point et « d’utiliser un
prétexte adéquat pour organiser un mouvement tournant sur Tiflis [356] ». Lénine
fait le sourd. Le 20 novembre, Staline revient à la charge et propose un
plan grandiose : « une guerre victorieuse de la Turquie avec la
Géorgie qui permettrait à la Russie d’intervenir comme intermédiaire et
libératrice ». Encore faudrait-il que les Turcs soient d’accord, ce qui
semble douteux.
Après avoir assisté au congrès des peuples du Daghestan, il
prépare l’invasion de l’Arménie avec Ordjonikidzé, et revient à Moscou le 21 novembre.
Le 27, il présente un rapport sur la politique à suivre dans la région au
Bureau politique qui, après l’avoir entendu, recommande d’adopter « par
rapport à la Géorgie, l’Arménie, la Turquie et la Perse une politique d’apaisement
maximal, c’est-à-dire visant surtout à éviter la guerre. Ne pas se fixer comme
but une expédition ni contre la Géorgie, ni contre l’Arménie, ni contre la
Perse [357] »
mises sur le même plan. Staline vote cette résolution à usage interne, et en
organise aussitôt… la violation. Conformément au scénario établi à Bakou, un
détachement de communistes arméniens se soulève, la XI e armée,
conduite par Ordjonikidzé, se précipite à son secours et envahit l’Arménie :
le gouvernement nationaliste Dachnak, abandonné par une population lasse des
aventures dans lesquelles il l’a ballottée depuis près de trois ans, s’effondre.
Le 2 décembre, la République soviétique d’Arménie est proclamée. Après l’Azerbaïdjan,
c’est la seconde victoire de Staline en six mois.
Ordjonikidzé fait pression sur Moscou pour prolonger l’opération
arménienne en Géorgie. Le 15 décembre, il télégraphie à Lénine un
véritable ultimatum : le Bureau caucasien a décidé à l’unanimité que la XI e armée
franchirait les frontières de la Géorgie le lendemain à l’aube ! Lénine
annule cette décision. Le 2 janvier 1921,
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