Staline
télégraphie à Lénine : « L’impérialisme n’a jamais été aussi
faible que maintenant, au moment de la défaite de la Pologne […] ; plus
nous nous conduirons avec fermeté, et mieux ce sera et pour la Russie et pour
la révolution mondiale [344] . »
Le 24 juillet, il écrit à Lénine, porté par le même élan d’excitation :
« Ce serait un péché de ne pas encourager la révolution en Italie. »
Et il propose « l’organisation d’un soulèvement en Italie et dans des
États qui ne se sont pas encore consolidés, comme la Hongrie, la Tchéquie (et
il faut écraser la Roumanie) », en écartant d’un revers de main le danger « insignifiant »
représenté par les débris des corps francs en Allemagne, qu’il évalue à trois
cent mille marginaux [345] .
Cette réduction de la révolution mondiale à l’organisation de soulèvements par
le Comintern est plutôt sommaire, et le désenchantement de Staline au lendemain
de la défaite polonaise n’en sera que plus vif.
Toukhatchevski vole vers Varsovie. Staline et Iegorov
cheminent vers Lvov, au sud. La mission militaire française s’affole dans la
capitale polonaise. Le 4 août, Lénine interroge par télégramme Staline sur
la situation en précisant : « Des décisions politiques très
importantes peuvent dépendre de vos conclusions [346] . » La
responsabilité que Lénine fait peser sur ses épaules l’effraie, et, peu
désireux d’en assumer les conséquences, il refuse net : « Je ne sais
pas pourquoi, concrètement, mon avis vous est nécessaire, aussi ne suis-je pas
en état de transmettre les conclusions que vous exigez et je me limiterai à
communiquer les faits nus sans commentaires [347] . »
Aux autres d’en dégager les conclusions.
Le Bureau politique décide d’unifier la conduite de la
guerre en Pologne en un seul front Ouest dirigé par Toukhatchevski, et de
constituer un front de Crimée qui sera dirigé par Staline, Iegorov et Frounzé,
contre Wrangel, qui a lancé début juin une offensive à partir de la Crimée où
il est retranché. Il représente un danger au moment où des soulèvements paysans
éclatent au Kouban et en Sibérie. Lénine l’en informe par télégramme. Staline
ramène tout à des questions de préséance : « J’ai reçu votre note sur
la division des fronts ; le Bureau politique ne devrait pas s’occuper de
vétilles. Je puis travailler sur le front encore un maximum de deux semaines. J’ai
besoin de repos, cherchez-moi un remplaçant [348] . »
Cette bouderie rageuse, qui conduit le Bureau politique à reporter sa décision,
se conclut par la dénonciation rituelle du haut commandement : « Je
ne crois pas une minute aux promesses du commandant en chef ; il ne fait
guère que vous jouer des tours avec ses promesses. » C’est un refrain
lancinant. Dès le 31 juillet, il dénonce le commandant en chef Serge
Kamenev, qui a reporté sa venue sur le front ; il l’accuse d’abord de
lâcheté, puis le 4 août de quasi-trahison, et huit jours plus tard de
sabotage : « Le commandant en chef et ses compères sabotent la
victoire sur Wrangel [349] . »
Cette obsession de la trahison et du sabotage est propre à Staline.
Iegorov et lui reçoivent l’ordre d’envoyer en renfort à
Toukhatchevski, dont les lignes s’étirent dangereusement, la première division
de cavalerie et la XII e armée. Staline ne pourrait alors pas
prendre Lvov. Or, il veut sa ville et sa gloire. Il refuse donc de signer l’ordre
de transfert des troupes. Le 13 août, il envoie même promener le chef d’état-major :
« Les armées du front Sud-Ouest exécuteront leur tâche essentielle qui est
de s’emparer de la région de Lvov-Rova Rousska […]. Je tiens le changement des
tâches essentielles de l’armée dans les circonstances données pour déjà
impossible [350] . »
La contre-offensive de Pilsudski bouscule l’Armée rouge et
la repousse de plus de 200 kilomètres. La désobéissance obstinée de
Staline accélère et amplifie un échec inéluctable : les ouvriers et
paysans polonais voient dans les troupes de Toukhatchevski davantage une armée
russe qu’une Armée rouge et se dressent contre elle. C’est ainsi que, par
entêtement, Staline transforme la défaite de Varsovie en déroute et provoque
indirectement la capture de 40 000 soldats qui disparaîtront dans les
camps de concentration polonais. Il contraint Moscou à signer, le 20 octobre 1921,
la paix
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