Staline
et
internationales qu’en fonction des besoins de sa lutte pour le pouvoir, il
réussit à la fois à théoriser tous les problèmes en les simplifiant à l’extrême
et à proférer des affirmations parfaitement contradictoires au gré des
nécessités de la lutte interne. Ainsi, à la commission tchécoslovaque du
Comintern, le 27 mars 1925, il explique que l’accalmie sociale
engendre des illusions réformistes qui font du « danger de droite »
le danger essentiel. Un an après, à la commission française, il affirme au
contraire que c’est la crise qui donne des ailes aux « droitiers [501] ». Il
modifie son analyse en fonction de ses cibles du moment : il s’oppose à la
construction de la centrale hydroélectrique du Dnieprostroï, qui dépend d’un
organisme présidé par Trotsky ; il y est favorable dès lors que ce dernier
en a perdu la responsabilité…
On ne saurait pourtant réduire Staline à un simple
apparatchik, passionné par les seules combinaisons d’appareil. En mai, il
charge Tovstoukha de classer et de compléter sa bibliothèque personnelle, et
griffonne à son intention une proposition de classement par thèmes. Il définit
ainsi trente-deux rubriques, en tête desquelles se trouvent la philosophie, la
psychologie, la sociologie, l’économie politique. Lénine et le léninisme ne vient qu’en vingt-troisième position. Il fait, il est vrai, extraire de ce
classement et ranger à part les livres de Lénine, Marx, Engels, Kautsky,
Plekhanov, Trotsky, Boukharine, Zinoviev, Kamenev, Lafargue, Luxemburg et,
bizarrement, Radek.
Les jeux d’appareil sont largement ignorés d’un pays qui se
relève à peine de ses ruines. En 1925, un rapport du Guépéou portant sur trois
cantons de Tambov dresse un tableau très sombre de la misère paysanne : « La
famine se développe de jour en jour et dépasse même ce qui s’est passé en
1921-1922. La population se nourrit exclusivement d’une espèce de bouillie, diluant
une sorte de farine dans un verre d’eau froide [502] . » 70 à 80 %
de la population de ces cantons est ravagée par la faim. Dans tel canton, les
paysans accusent les dirigeants de s’empiffrer de gâteaux quand eux-mêmes
manquent de mauvais pain. Dans un autre, « la famine s’accentue de jour en
jour […]. Le bétail meurt d’épuisement. Les paysans ôtent les toits de chaume
de leur maison pour nourrir le bétail qui reste [503] ». Bref,
tous les cantons du district sont touchés par la famine. Un autre rapport, de mars 1925,
souligne un mécontentement grandissant vis-à-vis du pouvoir. Dans la région de
Nijni-Novgorod, la campagne électorale a eu pour thème la nécessaire mise à la
porte de tous les communistes. Un rapport de juillet 1925 s’alarme qu’en
Sibérie, en Ukraine, dans le Caucase du Nord, les paysans pauvres, déçus du
pouvoir soviétique, s’en détournent et développent le « banditisme rouge [504] ». Ces
paysans, souvent d’anciens partisans ou membres des cellules rurales du Parti,
forment des bandes, attaquent les paysans aisés ou riches et les rackettent
sous la menace d’incendier leur ferme, voire de les abattre. Cette agitation
est dangereuse pour le régime, alors même que la classe ouvrière, frappée par
le chômage, grogne.
Le menuisier Tretiakov résume le sentiment de la masse des
ouvriers dans la lettre personnelle qu’il adresse à Staline, le 2 mars 1925.
Il a beau l’appeler « cher ami camarade Staline », sa dénonciation de
la misère ouvrière, des privilèges et de l’inégalité sociale est d’une grande
brutalité : « Vous avez juré devant le peuple entier de réaliser dans
la vie les idées du communisme et de remplir toutes les volontés de Lénine.
Pourquoi est-ce que cela ne se voit pas dans la vie ? Toute la force et la
puissance sont dans vos mains. Pourquoi est-ce que nous avons près de deux
millions de gens sans travail qui souffrent, la plupart de façon insupportable
dans les conditions les plus effrayantes. Beaucoup ne supportent pas le chômage
et la misère et se suicident. Pourquoi est-ce que le salaire des travailleurs
manuels est de 8, 10, 12-15 roubles par mois ? Est-ce que l’homme qui
a inventé un salaire aussi bas n’est pas un ennemi du peuple ? Cela ne
suffit pas à faire vivre un seul individu, alors comment les chargés de famille
peuvent-ils vivre ? Pourquoi est-ce que l’administration et les
spécialistes reçoivent jusqu’à
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