Staline
suprême du pays.
Cet aveuglement en dit long sur les rapports réels qui
existent alors au sein du groupe dirigeant. Si Staline, au sommet, est le
premier, il ne l’est encore que parmi d’autres « égaux ». Ainsi, neuf
mois plus tard, au lendemain de la XV e conférence du Parti (26 octobre-3 novembre 1926),
peu satisfait de son discours contre l’Opposition, il s’excuse, dans une lettre
à Molotov du 7 novembre, de ne l’avoir montré à personne avant de le
lire : « Ton insistance sur les corrections ne souligne-t-elle pas
que je me suis trompé en n’envoyant pas mon discours aux amis ? Je me sens
mal à l’aise après les discussions d’hier [526] . »
Cette modestie penaude est cohérente avec sa situation dans l’appareil de
direction. Trois ans plus tard, après la lutte victorieuse contre l’Opposition
qui le hissera au-dessus de tous, son statut aura changé, et le ton deviendra
impérial.
Les agitateurs de Kirov s’attaquent à l’appareil
zinoviéviste local. La tâche est difficile : deux semaines plus tard, l’usine
Poutilov résiste toujours. « Là, il faut tout prendre d’assaut. Et quels
assauts ! » écrit Kirov à Ordjonikidzé le 16 janvier. À
Treougolnik, où travaillent 2 200 ouvriers, la première réunion finit
par des échanges de coups aux quatre coins de la salle : « La bagarre
a été invraisemblable, commente Kirov, je n’avais pas vu ça depuis les journées
d’Octobre [1917] [527] . »
Cette épuration, qu’il étend à l’Internationale, d’où il
chasse les partisans de Zinoviev, conduit Staline à préciser sa méthode. Dans
un discours au présidium du Comintern, le 22 janvier, il dénonce la « morale
de pope » de ceux qui veulent se battre contre l’Opposition sans « compromettre
d’aucune façon les chefs ; c’est nier dans les faits la possibilité de
toute lutte idéologique à l’intérieur du Parti ». Compromettre et
discréditer sont à ses yeux les moyens essentiels du combat d’idées. C’est
ainsi que son vocabulaire sera de plus en plus brutal à mesure qu’il s’élèvera
au-dessus de ses adversaires et de ses propres partisans.
À son secrétaire Mekhlis, qui s’indigne de l’insolence des
opposants, il définit un autre élément fondamental de sa méthode en lui
répondant dans un sourire : « Qu’ils discutent ! Ce n’est pas l’ennemi
qui se montre qui est dangereux, c’est l’ennemi caché, celui que nous ne
connaissons pas. Ceux qui se sont déjà manifestés, qui sont enregistrés, le
moment des règlements de comptes avec eux viendra [528] . » En
attendant, il faut débusquer les adversaires dissimulés que la normalisation
policière de la vie politique multiplie…
Dans l’Internationale, comme dans le Parti, son objectif
premier n’est pas de proposer une orientation ou une ligne mais de débusquer et
de démolir les esprits indociles ou supposés tels en leur collant sur le dos l’étiquette
qui leur convient. Ainsi le 6 mars 1926, devant le Comité exécutif,
il intervient sur les problèmes du Parti communiste français. Il aborde quatre
questions. D’abord, la situation politique en France, marquée, dit-il, par « un
renforcement progressif de la crise révolutionnaire », sans avancer le
moindre fait à l’appui de sa bien douteuse analyse. Ensuite, le prétendu « danger
croissant de droite à l’intérieur du parti ». Puis, troisième point, il en
vient à la situation au sein du groupe dirigeant du parti. Suivent enfin
quelques remarques vagues sur les rapports entre le parti et les syndicats. L’intervention
s’achève par un résumé en six points, dont cinq sont consacrés aux « éléments
de droite », à leur isolement, à leur liquidation, à la lutte implacable
contre eux, qui se conclut lui-même benoîtement par le conseil de « ne pas
abuser dans son travail pratique de la méthode de l’amputation, de la méthode
des sanctions à l’égard des divers camarades, mais [d’]employer principalement
la méthode de la persuasion ». Alors que, selon lui, « la France va
vers la crise », Staline ne propose au parti communiste aucun mot d’ordre,
aucun slogan, aucune tactique ; il définit « le travail pratique »
du parti uniquement comme une lutte interne contre des « déviationnistes »
qualifiés de droitiers [529] .
L’analyse cavalière d’une crise révolutionnaire croissante en France a surtout
pour fin d’écarter ceux
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