Staline
Zinoviev, adversaire, sans animosité, de Trotsky
qu’il respectait, suscite bruits et rumeurs dans les cénacles du Parti. Ces
rumeurs débouchent, au mois de mai 1926, sur la publication, dans le
numéro 5 de la revue Novy Mir, d’une nouvelle à clé de Boris
Pilniak, L’Histoire de la lune non éteinte, sous-titrée « La mort
du commandant en chef ». L’intrigue reprend de façon troublante le
scénario de la mort de Frounzé. Dans un pays gouverné par une troïka dirigée
par « l’homme au dos raide », le commandant en chef Gavrilov est
opéré de force d’un ulcère à l’estomac pourtant guéri, sur ordre de la
direction. Le collège des médecins, dont chacun à part soi juge l’opération
inutile, conclut pourtant à sa nécessité, dictée par qui l’on devine. La veille
de l’opération, Gavrilov confie à son ami Popov : « On veut bel et
bien m’égorger. » Le chirurgien lui ouvre le ventre, constate que l’ulcère
était refermé et l’opération inutile, mais le cœur de son patient s’arrête. Sur
injonction de Staline, le Bureau politique fait saisir le numéro de la revue,
invite les abonnés à le renvoyer, et, dans une résolution, non rendue publique,
qualifie la nouvelle de Pilniak d’« attaque perfide,
contre-révolutionnaire et calomnieuse contre le Comité central et le Parti ».
La résolution impute l’intrigue et certains détails aux « conversations
contre-révolutionnaires tenues par certains communistes autour de la mort de
Frounzé [518] ». C’est dire que, dans les sommets du Parti et
dans son intelligentsia, on jugeait déjà Staline capable de supprimer un
gêneur.
Staline dresse méthodiquement les individus les uns contre
les autres. Ainsi le comité central des Jeunesses communistes révoque à la fin
de 1925 le responsable, zinoviéviste, des Jeunesses de Sibérie. Le secrétaire
du Parti de la région, le zinoviéviste Kharitonov, proteste. Staline le reçoit
et partage son indignation, mais dès que Kharitonov est sorti de son bureau, il
invite par téléphone le secrétaire des Jeunesses, Miltchakov, à rester ferme.
Miltchakov ne cède donc pas à Kharitonov qui se précipite pour le dénoncer chez
Staline. Staline s’indigne à nouveau devant lui puis, une fois Kharitonov parti
rasséréné, mais roulé, il téléphone à Miltchakov pour le féliciter.
Quelques jours avant le XIV e congrès,
Staline invite Kroupskaia à venir le voir. Pour tenter de la détacher de
Zinoviev et de Kamenev, il lui propose une place au Bureau politique.
Kroupskaia refuse d’échanger ses convictions contre un poste. Staline multiplie
les manœuvres. À la mi-décembre 1925, informé que les zinoviévistes
veulent utiliser le Testament de Lénine, il demande à l’un d’eux, Grigori
Sokolnikov, d’y renoncer et de ne pas évoquer la recommandation d’élire un
nouveau Secrétaire général. Sokolnikov refuse. Staline s’oppose à la volonté de
plusieurs de ses proches d’envoyer des représentants de la majorité dans les
réunions des communistes léningradois. Il a tout intérêt à ce que les
résolutions de l’opposition (dénommée Nouvelle Opposition) soient adoptées à l’unanimité
à Leningrad, car cela lui interdira de contester les votes unanimes des autres
régions en faveur de Staline. Son calcul est couronné de succès. La veille du
congrès, Staline appelle Sokolnikov en pleine nuit et lui redemande avec
insistance de ne pas parler du Testament ; Sokolnikov refuse à
nouveau : « Tu le regretteras, Grigori », commente Staline en
reposant le combiné.
Le congrès ne discute guère du problème brûlant du
jour : pendant trois mois, d’octobre à décembre, l’État a stocké moins de
la moitié du blé prévu ; en effet, les paysans renâclent à le vendre à bas
prix en raison de ceux exorbitants des produits manufacturés. Mais Staline a d’autres
soucis : il donne la priorité à la lutte interne, d’autant qu’il ne sait
que faire face à cette première crise du stockage des grains.
Le congrès, soigneusement sélectionné, siffle Zinoviev qui a
maladroitement demandé à présenter un corapport après celui du Secrétaire
général. Il murmure quand Kroupskaia dénonce le pouvoir excessif du
Secrétariat. Il hue Kamenev quand il réclame l’éviction de Staline du poste de
Secrétaire général et la subordination du Secrétariat au Bureau
politique : « Le camarade Staline ne peut remplir le rôle
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