Staline
plaisirs, qui a débouché sur le bonapartisme,
l’Empire et la Restauration ? La NEP, avec la réouverture au capital privé
et le retour aux mécanismes marchands, a fait ressurgir la crainte d’un
Thermidor rampant. À partir de 1927, au moment même où Staline commence à
liquider la NEP, Thermidor l’emporte-t-il ? Si oui, quelle couche ou
classe détient le pouvoir ? L’ancien groupe du « centralisme
démocratique » répond : oui, Thermidor l’a emporté, la petite
bourgeoisie a pris le pouvoir en URSS, il faut la renverser. Pour Trotsky, la
dégénérescence inachevée de la révolution débouche sur un cas de figure imprévu
et original : la contre-révolution ne rend pas le pouvoir aux anciennes
classes dirigeantes, mais à une couche parasitaire, instable, coincée entre les
classes fondamentales, la bureaucratie, qui rêve de stabiliser ses privilèges
en transformant son usufruit de la propriété d’État en propriété personnelle
privée.
Le changement d’époque qui s’amorce, marqué par la
dénonciation publique de l’égalitarisme dans le domaine des salaires, est en
tout cas incontestable. Un survivant évoque ainsi « l’égalitarisme abhorré
par les pontes du Parti […] écho de cette période heureusement pour eux à
jamais révolue, où les militants du Parti portaient des vestes de cuir râpées,
avaient un salaire plafonné, travaillaient dans d’austères bureaux et donnaient
à la population l’exemple de mœurs puritaines [594] ». Staline
se fait alors construire une villa à Sotchi, dite « Objectif n o 1 ».
C’est, entre Matsesta et Sotchi, une belle maison à un étage avec piscine dans
la forêt de pins, salle de billard, salle de cinéma. Comme à Zoubalovo, on
trouve un divan dans chacune d’elles. Non loin de là s’étagent les villas de
Kalinine, Mikoian, Molotov. Les rares fois où Staline reçoit des invités, ils
logent dans une de ces villas, jamais dans la sienne.
CHAPITRE XVI
Koulak et Goulag
La collectivisation et le premier plan quinquennal sont
placés sous le signe de la contrainte généralisée : violence contre les
paysans, chasse aux objectifs irréalistes, irréalisables et sans cesse
modifiés. Le développement rapide du Goulag est l’un des éléments-clés de cette
double mise en œuvre. Il s’agit de bien autre chose que d’une simple extension
des lieux de détention créés antérieurement, avec, d’un côté, les camps de
répression politique, résidus ou avatars de la guerre civile, réduits depuis
1923 à celui des îles Solovki, dans la mer Blanche, où sont détenus des
prisonniers politiques et de droit commun condamnés par le Guépéou sans
décision judiciaire, et, de l’autre, les camps de travaux correctifs et les
colonies de travail, institutions pénitentiaires accueillant des individus
condamnés par un tribunal à remplir des tâches d’utilité publique rémunérées.
En 1928, ces camps et colonies renferment 60 000 détenus, dont près
de 90 % de droit commun. Le Kremlin envisage alors d’utiliser leur travail
à des fins productives.
Le 27 juin 1929, le Bureau politique décide de
transférer tous les détenus des prisons condamnés à des peines de plus de trois
ans dans les « camps de travail et de rééducation » du Guépéou et d’en
ouvrir de nouveaux dans « des régions isolées et inhospitalières […] pour
les coloniser et exploiter les richesses naturelles par l’utilisation du
travail forcé [595] »,
où les ouvriers libres refusent d’aller. Le 11 juillet 1929, un
décret charge le Guépéou de développer la vie économique des régions
périphériques quasiment désertiques avec des détenus utilisés à ouvrir des
voies de chemin de fer, tracer des routes, abattre des arbres. Tous ces décrets
et résolutions sont strictement secrets. Staline se garde bien d’imiter le
Trotsky de 1919-1920, qui expliquait publiquement la nécessité provisoire du
travail forcé pour redresser l’économie dévastée de la Russie soviétique.
Soljenitsyne attribue l’idée du travail systématique des
détenus à « Naftali Frenkel, juif de Turquie », détenu à Solovki
depuis 1927, tout en dénonçant ce qu’il qualifie de « légende ».
Selon lui, un avion serait venu le chercher « autour de 1929 » pour
une entrevue de trois heures avec Staline. Soljenitsyne résume cette
conversation sans sténogramme ni témoin, où « Frenkel déploie devant le
Père des
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