Staline
Trotsky », et lui intime l’ordre d’y mettre un
terme. Trotsky refuse. Staline laisse traîner l’affaire. Il doit auparavant
épurer la direction des syndicats, depuis dix ans entre les mains de Mikhail
Tomski, ancien ouvrier, petit homme râblé, obstiné, jadis condamné sous le
tsarisme, en 1911, à cinq ans de bagne, soucieux de défendre les intérêts des
ouvriers à l’intérieur même de la politique du Parti. Staline attache à ses
basques Kaganovitch, haï de tous, qui n’a jamais milité dans un syndicat, et qu’il
fait nommer pour cette double raison à la direction. Ce sera un parfait
commissaire politique. Il lui adjoint un jeune bureaucrate qui monte, tout
aussi étranger au mouvement syndical, Jdanov. Humilié, Tomski veut démissionner ;
Staline refuse ce défi à son autorité ; il tient à choisir lui-même le
jour et l’heure.
Le 7 janvier 1929, il revient à Trotsky et fait
voter par le Bureau politique son expulsion à l’étranger. Rykov et Vorochilov
votent l’emprisonnement. Staline joue une fois de plus le modéré. Le 20 janvier,
à Alma-Ata, le Guépéou envahit la maison de Trotsky, accusé d’avoir « organisé
un parti antisoviétique clandestin visant […] à préparer la lutte armée contre
le pouvoir soviétique [588] ».
Le 10 février, il embarque Trotsky à Odessa pour la Turquie. Neuf jours
plus tard, le Guépéou monte à Moscou une souricière dans une imprimerie
clandestine, où l’Opposition de gauche reproduit le Testament de Lénine. Il
fait arrêter les « imprimeurs », parmi lesquels se trouve l’étudiant
Varlam Chalamov, le futur auteur des immortels Récits de Kolyma.
Staline regrettera toujours cette expulsion de Trotsky,
parti avec des bagages bourrés d’archives. Mais pour l’heure, il n’a qu’un
souci en tête : il doit réussir le Grand Tournant vers la
collectivisation, affronter des millions de paysans, les boukhariniens et une
partie de son propre appareil. Chasser Trotsky, c’est priver l’Opposition de
gauche de son guide et de son unificateur, faciliter sa désagrégation et le
ralliement, pour le moment limité, de certains de ses membres. Il ne pense pas
au-delà. En janvier 1929, il se débarrasse d’un gêneur qu’il juge plus
dangereux à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il prend d’ailleurs une double
précaution : il envoie Trotsky en Turquie, loin des centres du mouvement
ouvrier, et prévoit de le faire dénoncer dans le monde entier comme un laquais
de la presse social-démocrate et bourgeoise, dès qu’il s’y exprimera. Il expose
au Bureau politique ce calcul à courte vue…
La Conférence nationale du Parti tenue en avril 1929
adopte le I er plan quinquennal, mis en œuvre à compter du 1 er octobre 1928.
Staline fait adopter par la conférence la variante optimale, la plus tendue,
élaborée par le Gosplan (organisme chargé de la planification), en même temps
que le slogan : « Réalisons le plan quinquennal en quatre ans »,
première d’une série de remises en cause régulières des objectifs et des
délais. En promulguant le plan quinquennal, il donne au Parti un objectif
économique dynamique (construire la base industrielle du « socialisme »),
suscite un appel de main-d’œuvre (qui liquidera le chômage), et offre un
débouché aux paysans qui fuient la collectivisation.
Les convulsions que traverse l’usine de tracteurs de
Stalingrad illustrent les dégâts provoqués par cette marche forcée. Pour
honorer Staline, le 11 novembre 1925, le Conseil supérieur de l’économie
nationale avait décidé de construire une usine de tracteurs à Stalingrad. La
première pierre en est posée sur un terrain vague, le 12 juillet 1926.
Le 1 er juillet 1927, le Conseil du travail et de la
défense décide d’y faire construire le tracteur « l’Internationale ».
Le projet, approuvé le 5 avril 1928, prévoit que l’usine construira 10 000 tracteurs
par an. Mais la collectivisation, pour réussir, a besoin d’une quantité
considérable de tracteurs. Aussi, le 20 juillet 1928, l’objectif,
doublé, est fixé à 20 000 tracteurs par an. L’URSS n’en a encore
jamais fabriqué. Le directeur de l’usine, Kagan, et un groupe d’ingénieurs se
précipitent aux États-Unis pour apprendre leur métier. (Le NKVD pourra ainsi
les arrêter dix ans plus tard comme espions américains.) Le 11 décembre 1928,
un télégramme informe la direction de l’usine, à
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