Staline
peine installée, qu’elle doit
fabriquer un autre type de tracteurs que celui initialement prévu. Il faut
changer tous les plans. Et l’usine doit être prête pour octobre 1930 !
Sept mille jeunes communistes débarquent alors sur le chantier, où règne la
panique, pour en achever la construction…
Au Comité central d’avril 1929, Staline dénonce
brutalement la « déviation de droite ». Il accuse Boukharine de « se
traîner à la queue des ennemis du peuple », d’en être donc un. C’est la
première fois qu’un dirigeant du Parti accole cette étiquette à un autre
dirigeant. Staline la justifie en trafiquant le malencontreux récit de
Boukharine sur la démarche des SR de gauche en 1918 pour arrêter Lénine, qu’il
transforme en démarche de Boukharine lui-même. Selon sa version, lors de
Brest-Litovsk, il « courut voir les SR de gauche, les ennemis de notre
parti, mena avec eux des négociations en coulisses, et s’efforça de former un
bloc avec eux contre Lénine et le Comité central. Nous ne connaissons pas
encore, malheureusement, le contenu de ces négociations avec les SR de gauche,
mais nous savons que ces derniers voulaient arrêter Lénine et organiser un coup
d’état antisoviétique [589] ».
Reste à dévoiler le contenu des louches négociations de Boukharine au printemps 1918.
La menace d’une enquête est désormais suspendue en permanence sur sa tête.
Staline traite Tomski de « politicien trade-unioniste ». Le mois
suivant, il le fait chasser de la direction des syndicats et remplacer par l’inodore
et docile Chvernik, flanqué de Kaganovitch, fermement décidé, lui, à réduire
les salaires des ouvriers.
Boukharine et Rykov ont prononcé à ce Comité central d’excellents
discours, dit-on au syndicaliste Boris Kozelev, qui les compare au chant du
cygne dont la beauté n’empêchera pas que « Koba les [écrase] sous les
hululements et les sifflets de tout le monde ». « Koba est plus fort.
On craint Koba. Certains sont fascinés par lui, comme des lapins par un boa, et
lui tombent droit dans la gueule. D’autres ont la frousse, comme des lapins,
devant sa volonté d’acier, sa "puissance incommensurable", et les
troisièmes, de faible volonté, incapables d’opposer à Koba une force analogue,
équivalente, font la seule chose qui leur reste : ils protestent dans leur
chambre fermée à clé et montrent leur poing dans leur poche [590] . »
Staline réunit, juste après le plénum, la XVI e conférence
du Parti, du 23 au 29 avril, pour enrôler tous ses cadres dans la chasse
aux « droitiers ». Ses interventions ne sont pas publiées et le tome XII
de ses Œuvres complètes n’y consacre pas une ligne. Chatzkine et
Lominadzé proposent de favoriser la constitution d’une organisation de la
paysannerie pauvre, comme en 1918. Une initiative personnelle ? Inacceptable.
Staline fait condamner les deux hommes par le Bureau politique et exige leur
autocritique. Ils cèdent, puis sont démis de leurs fonctions.
Le tournant vers l’industrialisation et la collectivisation,
dont le caractère total et violent n’est encore perceptible qu’en filigrane,
pousse plusieurs opposants de gauche à se rallier à Staline : en juin 1929,
Drobnis et Serebriakov ; en juillet, Radek, Preobrajenski, Smilga. Ils s’en
mordront vite les doigts. Mais Staline craint que la guerre contre les paysans
ne désoriente certains cadres du Parti avec qui les dirigeants de la « droite »
ont conservé des rapports étroits noués au cours de la lutte antitrotskyste.
Toute faille dans son appareil pouvant se révéler fatale, il veut contraindre
les dirigeants de la « droite » à une autocritique.
Au Comité central de novembre 1929, Staline ne dit pas
un mot de son projet de collectivisation totale et se contente d’annoncer :
« Dans trois ans, notre pays sera l’un des plus riches en blé du monde,
sinon le plus riche [591] . »
Il ne précise pas les modalités du miracle. Boukharine, Rykov et Tomski
défendent une dernière fois leurs positions, dans une déclaration qu’ils
distribuent. Le Comité central exclut alors Boukharine du Bureau politique
auquel, depuis plusieurs mois, il ne participait quasiment plus.
Puis, pour imposer cette collectivisation et contourner les
hésitations et les doutes de ses membres, Staline ne réunira plus le Comité
central pendant huit mois. Toutes les décisions seront prises par son petit groupe
de
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