Staline
longtemps attendu
la révolution salvatrice, affaiblit l’URSS mais renforce Staline. En faisant
planer sur le pays l’ombre de la menace nazie, elle resserre autour du chef les
rangs de l’appareil apeuré et facilite le ralliement d’opposants au nom de l’unité
nécessaire face à l’ennemi, tels les trotskystes Sosnovski et Racovski en
février et mars 1934. Hitler consolide ainsi Staline. Et ce n’est pas la
dernière fois.
Parti en vacances, selon son habitude, à Sotchi en juillet,
Staline s’occupe exclusivement des problèmes intérieurs. Il bombarde de lettres
Kaganovitch, qu’il a laissé à Moscou gérer les affaires courantes pendant ses
deux mois de congé. Le service postal du Guépéou a pour consigne de les
communiquer uniquement à Kaganovitch, et en personne. Le 20 juillet,
Staline lui expose dans une longue lettre son indignation devant les vols de
nourriture et la nécessité de prendre des mesures législatives extrêmement
sévères. Il constate l’augmentation des vols de chargements dans les chemins de
fer et du pillage de ce qu’il appelle « la propriété kolkhozienne et
coopérative ». Il y voit non pas le produit de la misère et de la faim,
mais un sabotage politique : « Ces pillages sont organisés
essentiellement par des koulaks (dékoulakisés) et autres éléments antisoviétiques
qui s’efforcent d’ébranler notre nouveau régime. » Or, conformément à la
loi, ces gens-là écopent généralement de trois ans de prison et sont libérés au
bout de six à huit mois. Cela ne peut plus durer. Il propose donc de promulguer
sans délai une nouvelle loi qui ferait des marchandises transportées par
chemins de fer, des kolkhozes et des coopératives une propriété de l’État, et
donc « punirait le pillage […] d’une peine minimum de dix ans de
réclusion, [mais en principe] de la peine de mort [et] exclurait l’application
de l’amnistie aux criminels de [ce type] ». En l’absence de mesures
draconiennes, écrit-il, il sera impossible d’instaurer la discipline sociale
nécessaire à la défense et au renforcement du régime. De plus, souligne
Staline, la récente loi qui facilite la liberté du commerce va raviver les
koulaks et accapareurs, « ordure qu’il faut extirper [658] ». À cette
fin, il propose de déporter au Goulag les propagandistes actifs du retrait des
kolkhozes, les spéculateurs et autres accapareurs. Six jours plus tard, dans
une nouvelle lettre à Kaganovitch, il dessine l’architecture de la nouvelle
loi, qui doit unir la répression du chapardage à la lutte contre les
adversaires du kolkhoze, c’est-à-dire criminaliser une opposition sociale ou politique.
Il veut régler par une loi unique les problèmes posés à la
fois par « la préservation de la propriété kolkhozienne et coopérative
ainsi que des marchandises transportées par chemins de fer » et par « la
préservation des kolkhozes eux-mêmes », c’est-à-dire la lutte contre
quiconque utilise ou prône la violence et les menaces pour pousser les paysans
à sortir des kolkhozes. Il n’ose pourtant pas assimiler complètement la
propagande contre les kolkhozes au pillage et au vol, et ne la punit pas comme
eux de mort, mais seulement de cinq à dix ans de prison suivis d’une réclusion
en camp de concentration de trois ans sans amnistie possible.
Kaganovitch lui adresse en toute hâte un projet élaboré. Le 4 août,
Staline le lui retourne avec des amendements et des ajouts de sa main, qui font
de lui le véritable auteur de ce texte. Il demande qu’on en organise l’application
au plus vite. Il tempête : « Dans les chemins de fer c’est le
désordre… Le Guépéou dort. » Kaganovitch doit lui ordonner « d’installer
des groupes armés sur les lignes et d’abattre sur place les voyous qui voyagent
sans billet ou avec un sac de produits susceptible [ sic ! ] d’avoir
été volé [659] . »
C’est une mesure d’exception, comme on en prend en temps de guerre. De fait
Staline mène une guerre. Le 6 août 1932, dans les colonnes de la Pravda, Serge Kirov, le prétendu libéral, en souligne la nécessité : « Notre
politique punitive est très libérale. Il nous faut y introduire un correctif […]
si un homme est convaincu d’avoir volé un bien d’un kolkhoze ou d’une
coopérative, il faut le juger et aller jusqu’à lui appliquer la peine capitale.
Et s’il faut atténuer le châtiment, il ne faut pas moins de
Weitere Kostenlose Bücher