Staline
jeté au loin le masque du
vieux bolchevik "modeste" que le Parti aurait contraint à supporter
le fardeau du Secrétariat général ». Il le compare à Érostrate, à
Khlestiakov (l’imposteur du Revizor de Gogol), à Araktcheiev (le ministre
tsariste inventeur des colonies militaires), à Néron, et… au comte de
Cagliostro, voyant en lui « un sophiste, un prestidigitateur politique et
un acteur ». « Staline est, ajoute-t-il, au sommet d’un appareil cent
fois plus puissant et plus ramifié que l’appareil de n’importe quel État
bourgeois », la domination absolue et la centralisation formidable du
Parti unique conférant au Secrétaire général un pouvoir décisif. Appuyé sur cet
appareil omnipotent, Staline peut substituer la preuve par la force à la force
de la preuve. C’est le « fossoyeur de la révolution ». Le
contre-révolutionnaire et le provocateur les plus acharnés, dit Rioutine, n’auraient
pas fait plus de dégâts que Staline, qui « remplit objectivement le rôle
de traître à la révolution socialiste [667] »…
L’Union des marxistes-léninistes apparaît dangereuse à
Staline en ce qu’elle tente de rassembler les opposants d’hier et d’aujourd’hui
autour d’un programme. Ils ont pris contact avec Zinoviev, Jan Sten, Syrtsov,
les anciens de l’Opposition ouvrière, Medvedev et Chliapnikov, les trotskystes
de Moscou, de Kharkov, de Novossibirsk. Ils veulent renverser la dictature de
Staline et de son clan, dynamiter l’appareil stalinien du Parti et du
gouvernement, réélire les soviets sur une base démocratique, liquider le
système de la nomination des cadres, épurer immédiatement et radicalement le
Guépéou, le parquet et les tribunaux. Ils s’attaquent ainsi à la fois à
Staline, à son clan et à la couche sociale dont il défend les intérêts.
Le Guépéou arrête le groupe, fin septembre, à la suite d’une
dénonciation de deux de ses membres. Le 27 septembre, la commission de
Contrôle exclut 14 membres du groupe ; le 2 octobre, une réunion
du Comité central et de la commission de Contrôle adopte un texte rédigé par
Staline, qui décide d’exclure les membres du groupe, de prendre des mesures
radicales « pour liquider totalement l’activité contre-révolutionnaire de
gardes blancs du groupe Rioutine-Slepkov, de leurs inspirateurs et de leurs
protecteurs », formule qui suggère des complicités multiples et
extensibles. Le texte exige enfin « l’exclusion immédiate du Parti de tous
ceux qui ont eu connaissance de l’existence de ce groupe contre-révolutionnaire,
en particulier de ceux qui ont lu ses documents contre-révolutionnaires et qui
n’en ont pas informé la commission de Contrôle et le Comité central [668] ».
Staline sait parfaitement ce qu’il fait. Le Guépéou s’est
procuré la liste des anciens dirigeants des oppositions passées auxquels les
auteurs avaient communiqué leur texte et qui n’en avaient rien dit, en
particulier Zinoviev et Kamenev, invités à s’expliquer à cette réunion. Ils ont
beau présenter leurs regrets, ils sont exclus. Quatre ans plus tard, Staline
transformera cette complicité passive en complicité active : quiconque
sera soupçonné ou accusé d’avoir lu le programme de Rioutine en deviendra
corédacteur et diffuseur. Staline étendra sans limite la liste des prétendus
lecteurs et assimilera la lecture de l’un des deux textes à une activité
terroriste potentielle…
Un mois après avoir démantelé le groupe de Rioutine, le
Guépéou arrête, le 25 novembre 1932, un « groupe opportuniste de
droite » formé de Eismont, Alexandre Smirnov, ancien commissaire à l’Agriculture,
et Vladimir Tolmatchev, ancien chef du NKVD de Russie, réticent devant la
politique terroriste de Staline. L’organisation de ce prétendu « groupe »
n’a jamais dépassé le stade de conversations désabusées et amères autour d’une
bouteille de vodka. Staline, qui le sait, télégraphie le 17 décembre son
mépris pour ces opposants engagés dans « une série de beuveries [669] », tout en
les assimilant abusivement à Rioutine. Il leur adjoint arbitrairement Rykov, un
peu porté, lui aussi, sur la bouteille. L’affaire ne traîne pas. Staline ne
vise qu’à discréditer ces mécontents qui ont tout de même évoqué la nécessité
de l’« écarter ». À la commission de Contrôle, Postychev, sans doute
téléguidé par le Secrétaire général, répète,
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