Staline
10 ans de
privation de liberté. » Ce souhait est satisfait, comme par enchantement,
dès le lendemain matin, sans que le texte ait été soumis au Bureau politique.
Au 31 décembre de l’année 1932, la loi du 7 août
« sur la protection de la propriété socialiste » a entraîné, en cinq
mois, la condamnation de 103 000 personnes (dont 77,6 % de
paysans). Le peuple lui donne le nom de « loi des cinq épis », ces
cinq épis qui suffisent à vous envoyer à la mort. Staline décide alors de
lancer une campagne pour son application. Le 11 août, il écrit à
Kaganovitch qu’il approuve le décret, ainsi que le projet contre les
spéculateurs, mais qu’il faut y ajouter un mode d’emploi destiné aux instances
locales du Parti et aux organes judiciaires qui sont à la traîne. Car les juges
renâclent à condamner à mort. Le 17 août, dans une longue lettre à
Kaganovitch, Staline propose de « clouer au poteau d’infamie les juges et
les procureurs qui manifestent du libéralisme à l’égard des pillards [660] ».
La menace pousse juges et procureurs à manifester un zèle un
peu plus grand. Une instruction secrète aux instances du Parti, adoptée par le
Bureau politique le 16 septembre, et consacrée à la mise en œuvre de la
loi du 7 août, exige plus de zèle encore. Dans un bilan de la loi,
présenté au Comité central de janvier 1933, le commissaire à la Justice,
Krylenko, exposera, en effet, que, dans 40 % des condamnations au titre de
la loi du 7 août, la Cour suprême a appliqué l’article 51 du Code
pénal, qui lui permet de réduire la peine prononcée en première instance. En
outre, la première instance ne répond pas aux attentes de Staline : en
République de Russie, sur 54 645 individus jugés au titre de cette
loi, 2 210 condamnations à mort seulement ont été prononcées et n’ont
été exécutées « qu’à peine dans 1 000 cas » ! En
Tchétchénie, où certains districts ignorent la loi, la cour a annulé 48 des 50 condamnations
à mort prononcées. Staline voulait que, dans l’application de cette loi, la
peine de mort soit la règle et la prison l’exception. Les juges font l’inverse.
Un juge a même déclaré à Krylenko, indigné : « Je n’ai pas le cœur à
lever la main pour condamner à 10 ans un individu pour un vol d’épis de
blé [661] . »
La peine de mort, qui devrait être la règle, devient donc l’exception par la
faute des juges, dont la résistance provoque la fureur de Staline. Les
militants, les jeunes communistes, et même les miliciens, qui détournent la
tête en passant près de gamins ou de vieilles femmes qui ramassent quelques
pommes de terre ou trois épis de blé, décuplent sa colère. Dans son discours à
ce même Comité central, il dénonce leur mollesse : « Nombre de nos
camarades regardent avec bienveillance les faits de vols et de pillage massifs
sans en comprendre le sens et la signification. Ils passent comme des aveugles
à côté de ces faits, comme s’il n’y avait là "rien de particulier". »
Se comporter ainsi, dit-il, c’est collaborer à la « sape du système
soviétique », ce qui est gros de fâcheuses conséquences pour les
coupables. Et, rappelant la loi du 7 août, il martèle : « Cette
loi est la base de la légalité révolutionnaire pour le moment présent [662] . » Les
juges doivent s’y plier et l’appliquer. À bon entendeur salut.
Les commissions spéciales créées pour la collecte par le
Bureau politique, en octobre 1932, razzient les kolkhozes et les villages
accusés de saboter les livraisons de blé. Elles réalisent le plan de stockage
en confisquant le fonds des semences, au détriment des semailles futures ;
la famine est dès lors inéluctable. En Ukraine, le Hongrois Mate Zalka, futur
général Lukacs en Espagne, note dans son Journal, en date des 11-13 juin 1932 :
« Malgré une récolte normale, l’Ukraine est condamnée à la famine [663] . » Les
cadres qui tentent de moduler cette politique sont impitoyablement brisés, tels
les dirigeants du comité territorial de Zaporojie : 16 d’entre eux passent
en jugement, 14 sont condamnés à mort. Ils ont tenté de convaincre les
autorités de laisser aux kolkhoziens le blé nécessaire pour leur nourriture et
les prochaines semailles. On leur a répondu : « Le pain à l’État ! »
Ils ont persévéré. Verdict : « Sabotage koulak organisé de la
collecte de blé. » Ces
Weitere Kostenlose Bücher