Staline
menaçant, aux accusés : « Pour
nous une chose est claire : "écarter" ça veut dire
"tuer". Écarter c’est tuer. Pour moi quand on dit écarter ça veut
dire tuer [670] . »
Ce sera le leitmotiv de Staline. Quiconque veut que le Parti ait un autre
Secrétaire général que lui est un terroriste. Le Guépéou les condamne, le 16 janvier 1933,
à trois ans de camp spécial et, peu après, arrête un groupe
Nemtchenko-Guinzbourg, accusé d’avoir créé une organisation pour renverser
Staline. Il arrête aussi le fils de Nemtchenko et un groupe de jeunes
communistes convaincus, quant à eux, de vouloir le tuer.
Staline prévient que tout opposant tombera désormais sous l’accusation
de terrorisme. C’est que ces groupes sont dangereux dans le contexte de la
crise économique et sociale de l’hiver 1932-1933, de la montée du
mécontentement politique qui agite les couches populaires les plus profondes et
de nombreux militants. Hiroati Kuromiya a étudié une liste de 175 militants
jugés suspects par le chef du Guépéou du Donetz. Leurs déclarations publiques
traduisent une véritable révolte contre les dirigeants. L’un d’eux
déclare : « Staline dirige le pays avec un groupe d’hommes forts et
rigole de nous voir nous détruire. » Un deuxième affirme : « Ce
serait mieux si Staline était mort. » Un troisième : « Un groupe
de bandits s’est formé qui détruit délibérément notre pays. ». Un
quatrième, un mineur, déclare à ses camarades : « Le gouvernement
soviétique va tomber tôt ou tard. Les ouvriers doivent former un véritable
gouvernement prolétarien permettant aux ouvriers et aux paysans d’être heureux. »
Un ouvrier, ancien partisan rouge, dit : « Nous devons faire une
seconde révolution », un autre proclame : « Staline est le
gendarme du parti communiste [671] . »
La haine vise clairement le parti au pouvoir et spécifiquement Staline, qui
répond aux militants du parti dont il est le Secrétaire général par le peloton
d’exécution. En octobre et novembre 1932, dans le Donbass, neuf militants
communistes sont ainsi condamnés à mort. Selon le satrape de Staline en
Ukraine, Postychev, la possession de la carte du Parti n’empêche pas d’être
considéré comme un ennemi. C’est même devenu une circonstance aggravante.
Staline peut se consacrer désormais à d’autres tâches. Le 7 octobre 1932,
il réunit chez Gorki, avec Vorochilov et Molotov, plusieurs mandarins de la
médecine pour décider la création d’un institut de médecine expérimentale. Le
rapport introductif est présenté par Fedorov, ancien major dans l’armée de
Koltchak. Le 19, il organise une première réunion d’écrivains communistes chez
Gorki, avec pour objectif de les mettre au pas, surtout les « écrivains
prolétariens » du RAPP dont il déteste le chef, Averbakh, le beau-frère de
Iagoda. Il leur déclare avec mépris : « Vous êtes tout simplement
encore de petites gens, de toutes petites gens et vous voulez diriger toute la
littérature ! » Il dicte aux écrivains communistes ce qu’il convient
qu’ils disent, dès la prochaine réunion, plus large, qui se tiendra une semaine
plus tard, jour pour jour, toujours chez l’auteur des Vagabonds, dont le
Guépéou a chargé la longue table de hors-d’œuvre divers, de bouteilles de vodka
et de cognac arménien. La réunion est copieusement arrosée. À un moment,
Boukharine, éméché, se penche vers Staline assis à côté de lui, lui prend le
nez comme à un enfant et lui dit : « Allez, sors-nous un petit
mensonge sur Lénine [672] . »
Staline, blême, l’invite à répéter à Gorki qu’il a voulu empoisonner Lénine…
Le 26, une cinquantaine d’hommes de lettres sont à nouveau
réunis chez Gorki. Dans le large débat qui s’ouvre après le rapport introductif
de Gronski, Staline se montre aimable. Il reproche aux « écrivains
prolétariens » de ne savoir que « susciter la peur », chose
nécessaire mais insuffisante. Il faut aussi être capable, dit-il, de « susciter
la confiance ». Il en donne une double preuve : il ne morigène pas
les écrivains qui, sous l’effet des premiers verres de vodka, bavardent pendant
son discours, et ne réagit pas à l’intervention délirante de Zazoubrine, l’auteur
du Tchékiste. Zazoubrine, éméché, dénonce les censeurs qui ont bloqué l’œuvre
d’un de ses camarades, coupable d’avoir souligné, dans sa
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