Staline
kolkhoziens partaient dans les montagnes ou
les régions sablonneuses, à la recherche de racines et de graines d’herbes
sauvages. Les kolkhoziens qui restaient étaient incapables de travailler à
cause de leur extrême épuisement et de la maladie [687] . » Ces
migrations forcées, la famine et la maladie anéantissent 1 800 000 Kazakhs.
Le dirigeant kazakh, Tourar Ryskoulov, écrit plusieurs fois à Staline, en vain,
pour attirer son attention sur la catastrophe qui s’abat sur sa
République : afin d’échapper à la famine, depuis la fin de 1931, les
Kazakhs fuient désespérément d’une région à l’autre et meurent comme des
mouches. Dans une lettre de mars 1933, Ryskoulov évoque les chiffres
accablants fournis par les représentants locaux du Guépéou : la moitié des
60 000 habitants du district de Balkach, la moitié de la population
du district de Karat, les deux tiers des 50 000 habitants du district
de Karkaline ont péri. Les enfants meurent en masse ; beaucoup de familles
qui se déplacent les abandonnent ; des hordes d’enfants aux côtes
saillantes s’entassent dans les villes et les gares. « Dans le district de
Semipalatinsk, une commission vérifiant l’état d’un orphelinat a découvert dans
la cave vingt cadavres décomposés d’enfants que l’on n’avait pas emportés à
temps faute de moyen de transport [688] . »
Les lettres de ce type laissent Staline sans voix. Sa colère rattrapera
Ryskoulov en 1937.
L’Ukraine vit une tragédie de même ampleur. Dès janvier 1932,
dans un télégramme aux membres du Bureau politique des PC russe et ukrainien,
Staline affirme son inquiétude à propos de la collecte des grains dans cette
République, et la « perspective inacceptable et intolérable [689] » d’un
déficit prévisible de plus d’un milliard de quintaux. L’appareil du parti
ukrainien se lance alors à l’assaut des paysans. En Moldavie, en Ukraine
occidentale, il se déchaîne avec une extrême brutalité. Le 10 février, une
brigade de la Pravda de Moldavie dénonce, dans une lettre à Staline, les
méthodes de la collectivisation locale : on confisque aux paysans la
totalité de leurs grains, semences comprises, et de leurs biens, on les arrête,
on les roue de coups, on les mutile. Beaucoup fuient en Roumanie. Staline
communique la lettre « pour information » à tous les membres du
Bureau politique des PC soviétique et ukrainien et ne bronche pas.
Début juin, Staline part en vacances à Sotchi. Malgré les
bains qu’il prend à Matsesta, il se sent mal. Le 16 juin, il écrit à
Kaganovitch : « Apparemment ma santé ne va pas s’améliorer
rapidement. Ma faiblesse générale, le surmenage qui m’accable ne se déclarent
que maintenant. Je croyais que je commençais à aller mieux, mais, en fait, je
vois que l’amélioration est encore loin… la faiblesse générale ne lâche pas
pour l’instant [690] . »
Cette faiblesse ne l’empêche pas de revenir sur la collecte de blé. Le 18, il
adresse de sa datcha un télégramme à Kaganovitch et Molotov. « En 1931,
écrit-il, toute une série de districts céréaliers se sont trouvés en état de
ruine et de famine [691] . »
Après avoir, comme à son habitude, rejeté les erreurs sur les échelons
inférieurs, il propose d’augmenter le plan de collecte de grains de 4 à 5 %
pour s’assurer une marge et d’exécuter ce plan à n’importe quel prix, ce qui
signifie arracher aux paysans jusqu’au dernier grain de blé, cet ultime grain
qui représente selon ses termes un « excédent ». Le 23, il annonce
son retour, « si la maladie (quelque chose dans le genre d’une légère
angine) ne m’en empêche pas [692] ».
En fait, il est malade tout l’été et reste près de trois mois à Sotchi, du
début juin à la fin août. Le 24 juin, dans une nouvelle lettre à ses deux
compères, il exige l’exécution inconditionnelle du plan de collecte de blé, en
faisant preuve d’une certaine souplesse dans « les districts de l’Ukraine
qui ont particulièrement souffert. […] pour des raisons de justice, mais aussi
à cause de la situation particulière de l’Ukraine, de sa frontière commune avec
la Pologne, etc. [693] ».
Il craint que les paysans ukrainiens ne passent en masse la frontière. Mais ces
belles paroles sont suivies d’un effet inverse. Molotov, après une tournée en
Ukraine, avertit le Bureau politique : « Nous sommes effectivement en
face
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