Staline
d’apprécier
puisqu’il était alors âgé de 11 ans.
Une chose est sûre : ce soir-là, éméché, et agacé par
la scène de jalousie, il a poussé Nadejda à bout. « En réalité, dit
Molotov, il avait tout juste un peu bu, il plaisantait. Rien de terrible, mais
ça l’avait choquée [680] . »
Svetlana dit de son père en une autre occasion : « Il tuait toujours
de façon détournée. » Dans ce cas, rien ne permet de conclure qu’il ait
cherché la mort de sa femme. Le 17 décembre, il conclut un télégramme à
Vorochilov par un aveu rare chez lui : « Je me sens toujours mal, je
dors peu, je me rétablis mal, mais ça ne se voit pas dans le travail [681] . » Il
répétera plusieurs fois au fil des ans : « Pourquoi a-t-elle fait cela ? »
ou : « Pourquoi m’a-t-elle fait cela ? » Ce souvenir lui
pèse. Deux ans et demi plus tard, lors d’un dîner familial, l’un des hôtes
évoque Jacob. Staline s’emporte, rappelle son hostilité envers Nadejda, sa
tentative de suicide, puis ajoute : « Comment Nadia qui avait
condamné lacha [diminutif de Jacob] pour cette tentative a-t-elle pu se
suicider elle-même ? Elle a très mal fait, elle m’a estropié. » Sa
belle-sœur s’indigne qu’elle ait pu abandonner ses deux enfants. Staline
explose : « Quoi, les enfants ? Ils l’ont oubliée au bout de
quelques jours, mais moi elle m’a estropié pour la vie… [682] »
Ce suicide laisse les deux enfants sans affection parentale.
Vassili écrira en 1955 que, tôt privé de sa mère et de la surveillance
quotidienne de son père, il a grandi et été éduqué dans le cercle des gardes,
et qu’il s’est vite mis à fumer et à boire. Staline confie, en effet, son
éducation au chef de la section opérationnelle de la Direction de la Sécurité
du NKVD, Pauker. Vassili grandira donc au milieu de guépéoutistes grossiers et
grands buveurs, plus doués pour les plaisanteries de corps de garde que pour la
tendresse. A l’école où le place Pauker, le directeur redoute qu’il arrive quoi
que ce soit au fils du Secrétaire général. Veut-il jouer au football ? Le
directeur exige une autorisation écrite de son père, à qui, le 26 septembre 1934,
Vassili écrit : « Je suis membre de la première équipe de football de
l’école, mais chaque fois que je veux jouer il y a des discussions à ce sujet,
on me dit que, en général, sans l’autorisation paternelle, c’est impossible.
Écris-moi si je peux jouer ou non. Ce sera comme tu voudras [683] . » Les
lettres de Vassili, qu’il signe « Vassia », « Vasska le rouge »
ou « ton Vassia », commencent toujours par un assez sec : « Bonjour
papa » et s’achèvent par un simple $ » Au revoir et à bientôt ».
Staline est avec lui d’une sécheresse absolue. Désireux de pousser son fils
vers l’aviation, il lui offre le 24 mars 1934 un ouvrage de fiction d’un
certain Helders (La guerre aérienne de 1936) publié en russe à Berlin en
1932. Sa dédicace est lapidaire : « À Vaska le commissaire rouge, de J. Staline
en souvenir. 24/III/34. Moscou [684] . »
Vassili a comme ami un garçon du même âge que lui, que Staline a recueilli et
traite comme son fils adoptif, le fils du bolchevik Fiodor Artiom, camarade de
Tsaritsyne, mort en 1921 dans un accident. Le jour de ses 12 ans, en 1933,
Staline offre un phonographe au jeune Artiom, plus sage et plus travailleur que
Vassili.
Staline a avec Svetlana, et avec elle seule, des rapports de
tendresse. Les lettres chaleureuses de sa fille s’ouvrent le plus souvent sur
un « Bonjour petit papa chéri » et s’achèvent par un « Je t’embrasse
très fort ». D’une grande froideur avec son fils, Staline reporte sur elle
une affection inquiète et tatillonne. Un soir de juin 1935, il part avec
les Redens, les Svanidzé et Svetlana pour Lipki, dans la proche banlieue de
Moscou. Les Svanidzé prennent Svetlana avec eux ; ils roulent lentement,
la pluie rendant la chaussée glissante. Puis ils crèvent. Au bout du compte,
ils arrivent une demi-heure après les autres. Staline est dans un état d’inquiétude
épouvantable. Cinq mois plus tard, de Sotchi, il adresse à sa fille une lettre
semblable à toutes celles qu’il lui enverra dans les années 1930, jouant
avec application au serviteur attentionné de « Svetlana, la patronne. Je
suis content que tu n’oublies pas ton papa. Je t’envoie quelques pommes. Dans
quelques jours je
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