Staline
t’enverrai des mandarines. Mange et amuse-toi. Je n’envoie
rien à Vassili parce qu’il travaille mal à l’école. Il fait très beau. Je m’ennuie
un peu parce que la patronne n’est pas là avec moi. Bonne chance, ma patronne.
Je t’embrasse très fort. Le pauvre secrétaire de la patronne Svetlana. Le
misérable J. Staline. 10-10-35 [685] ».
Staline efface de la villa de Zoubalovo toute trace de sa
seconde femme : il fait déménager ses meubles et ses bibelots, le terrain
de jeux est détruit à coups de pioche, des agents du Guépéou et des soldats
remplacent les nurses et les servantes. « La maison, telle qu’elle avait
été du vivant de maman, conclut Svetlana, cessa d’exister [686] . » À
Kountsevo, où il vit la plupart du temps, Staline s’abandonne aux soins d’une
jeune domestique, Valentina Istomina, qui lui restera attachée jusqu’à la fin,
et semble avoir marqué l’ultime étape de sa vie sentimentale. Istomina
sanglotera sur son cadavre le jour de sa mort.
En décembre 1932, Staline déclare le plan quinquennal
réalisé. La propagande reprend cette affirmation. Pourtant, les objectifs
proclamés n’ont été atteints qu’à moitié, parfois moins (en pleine
collectivisation, la production annuelle d’engrais est de 0,9 million de
tonnes au lieu des 8 millions annoncés !), et encore les chiffres
officiels intègrent-ils malfaçons et rebuts. Certes, face à l’effondrement de
la production et à la progression du chômage dans le monde capitaliste,
provoqués par la crise de 1929 et par la contraction du marché mondial qui s’ensuit,
ces chiffres révèlent un dynamisme économique réel, obtenu au prix d’efforts
très lourds et dont le coût est très élevé. En février 1932, Staline crée
le livret de travail obligatoire pour tout ouvrier. Le directeur, qui, seul,
peut autoriser un ouvrier à quitter son emploi, y note les motifs du départ ou
du renvoi. Trois ans plus tard, Hitler instaurera le même livret, donnant ainsi
au patron allemand les mêmes droits absolus sur le travailleur de son usine. Le
27 décembre, Staline rétablit le passeport intérieur, où Lénine voyait
jadis l’un des traits les plus réactionnaires du tsarisme. Ces décisions
réduisent fortement la liberté de mouvement et entraînent la création de
milliers de postes supplémentaires de petits bureaucrates chargés de gérer la
délivrance de ces livrets.
La victoire de Staline dans les campagnes est tout aussi
coûteuse : en 1930, l’État collecte 221,4 millions de quintaux de
blé, deux fois plus qu’en 1928 ; mais, en 1930 et 1931, la récolte baisse
de 20 %. Or, la surface des emblavures s’est étendue de 21,4 millions
d’hectares (soit une augmentation de 19 %), grâce à la déportation des
familles « koulaks » sur des terres infertiles, jusqu’alors non
cultivées : les rendements ont donc chuté. L’élevage a perdu la moitié de
ses têtes de bétail. La puissance de traction des engins agricoles et des
chevaux survivants est inférieure à celle des seuls chevaux en 1928. Mais la
collecte des grains par l’État a doublé. Les kolkhozes et sovkhozes (fermes
dont les paysans sont des salariés de l’État) permettent de prélever le tribut
dont parlait Staline en 1928 et d’exporter du blé pour financer les achats de
machines et matériel étrangers. En 1930, l’URSS vend ainsi 4 850 000 tonnes
de blé à l’étranger. Après la famine de l’hiver 1932-1933, qui s’accompagnera
d’une baisse des exportations, la récolte de 1933 sera bonne. La résistance
paysanne, écrasée, ne revêtira plus dès lors que des formes passives.
Le bilan de la collectivisation forcée est pire encore dans
un autre domaine. Au Kazakhstan, grande région d’élevage, la collectivisation
totale des troupeaux des tribus nomades aboutit à la disparition (abattage,
mort de faim ou de froid) de près de 90 % du bétail. La famine emporte 1 million
d’habitants du Caucase du Nord. Un rapport décrit les conséquences de cette
politique, qui a provoqué la migration forcée de 400 000 familles du
Kazakhstan (soit près de deux millions de personnes). Il souligne, en termes
pourtant modérés, les horreurs de l’hiver 1932-1933 : « Migrations
massives, mortalité, surtout dans la partie kazakhe de la population, abattage
et vente à bas prix du bétail, manque de pain pour la nourriture et de fourrage
pour les bêtes de trait […]. Les
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