Staline
du fantôme de la famine et, notamment, dans les riches districts
céréaliers [694] . »
Mais qu’importe, le Bureau politique, sur l’insistance de Staline, exige que le
plan de collecte soit rempli à n’importe quel prix.
Le 11 août, Staline adresse une lettre affolée de sept
pages à Kaganovitch : « Les affaires en Ukraine vont lamentablement
mal. Ça va mal du côté du Parti, […] ça va mal du côté des soviets, […] ça va
mal du côté du Guépéou. » Il dénonce l’incurie des dirigeants ukrainiens,
affirme que le demi-million d’adhérents du PC ukrainien renferme nombre de
pourris, de nationalistes, de petliouristes et d’agents polonais. « Le
pire c’est que les dirigeants ukrainiens ne voient pas ces dangers. » « Sans
redressement immédiat, dit-il, nous pouvons perdre l’Ukraine [695] . »
Le 22 octobre, le Bureau politique, informé que le plan
n’est réalisé nulle part, notamment en Ukraine et dans la Basse-Volga, désigne
deux commissions, dirigées respectivement par Molotov et Kaganovitch, pour
remettre de l’ordre en Ukraine et dans le Caucase du Nord. Kaganovitch se
déchaîne. Il veut « briser la résistance d’une partie des communistes
villageois, devenus pratiquement les organisateurs du sabotage », les
exclure du Parti et les déporter comme « politiquement dangereux [696] ». Il
interdit l’envoi de marchandises dans plusieurs districts, et organise même l’évacuation
des maigres stocks existants ! Le 20 novembre, en Ukraine, Molotov
suspend la vente des allumettes, du sel et du pétrole, dont il prive les
districts en crise, afin de débusquer les agents de l’ennemi. Le 21 novembre,
Kaganovitch et Kossarev, le secrétaire des Jeunesses communistes, envoient à
Staline une liste de 2 000 saboteurs supposés. Staline confirme. En
cinq semaines, le Guépéou arrête, en Ukraine, 320 présidents de kolkhozes.
Staline fait adopter par le Bureau politique la proposition de Molotov d’instaurer
un impôt spécial perçu sur les exploitations individuelles…
Les responsables régionaux du Parti d’Ukraine, de Sibérie,
de Russie centrale, supplient Staline d’assouplir sa politique, de réduire les
plans de livraison. Khataievitch dénonce la mauvaise planification de la
collecte. Staline se contente de griffonner sur sa lettre : « Intéressant ».
Lors du Bureau politique du 10 décembre, il dépêche Kaganovitch et
Postychev en Ukraine, avec mandat de prendre toutes les mesures nécessaires
pour assurer la collecte, et fait confisquer jusqu’aux fonds destinés aux
semences prochaines. Quatre jours plus tard, les deux hommes lui télégraphient
une résolution qu’ils ont fait voter par le Comité central du PC ukrainien,
décidant d’arrêter, de déporter, voire de condamner à mort les saboteurs de la
collecte. Staline note sur le télégramme : « Bien ! » La
faim frappe de nombreux districts et les paysans cessent de livrer leur blé. Le
24, Staline et Molotov exigent, par télégramme, que les criminels qui cessent
de livrer leur blé soient « immédiatement jugés et soient punis de 5 ans,
ou, mieux encore, de 10 ans de prison [697] »…
Terekhov, secrétaire régional de Kharkov et membre du
Secrétariat du PC ukrainien, prend son courage à deux mains et téléphone à
Staline. Il lui décrit la famine qui s’étend par l’Ukraine. Le Secrétaire
général l’interrompt et ricane : « On nous a dit, camarade Terekhov,
que vous étiez un bon orateur ; manifestement, vous êtes aussi un bon
conteur, vous avez composé un si beau conte sur la famine, vous avez pensé nous
faire peur avec ça, mais cela ne marchera pas ! Il vaudrait mieux que vous
abandonniez votre poste de Secrétaire du comité régional et du Comité central
et que vous partiez travailler à l’Union des écrivains ; vous écrirez des
contes que les crétins pourront lire [698] . »
Deux semaines plus tard, il le limoge.
Des commandos d’activistes, de membres des comités de
paysans pauvres et des komsomols, armés de barres de fer, de pics, de massues,
de pelles, de haches et de tiges de fer pour sonder le sol, débarquent dans les
maisons, brisent le mobilier, cassent la poterie, défoncent les matelas, à la
recherche du moindre grain de blé, et confisquent tout ce qu’ils
trouvent : pain, pois, beurre, fromages, œufs. Des miradors élevés en hâte
leur permettent de surveiller les champs et de débusquer les
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