Staline
Comité central condamne les « excès » des
responsables régionaux – légèrement sanctionnés – qui ont défiguré la
juste ligne. Le chef apparaît comme le recours suprême face aux débordements de
ses subordonnés. C’est la reprise d’une vieille tradition tsariste : les
paysans voyaient dans le tsar, hélas trop loin, tout comme Dieu était trop
haut, le seul recours face à l’arbitraire aux violences des « fonctionnaires ».
Quand, trois et quatre ans plus tard, Staline abattra son bras vengeur sur l’appareil
du Parti, les paysans ne s’apitoieront guère sur les cadres liquidés.
La famine a tué 4 millions de paysans ukrainiens. Le
deuxième secrétaire du PC ukrainien de l’époque, Demtchenko, emmène un jour en
voiture son fils de 9 ans dans un village où tous les habitants sont morts
ou se sont entre-dévorés et lui dit : « Tu vois, c’est ça Staline [708] », mais ce
même Demtchenko le soutient en public. Des historiens ukrainiens, pour
accréditer la thèse du « génocide ukrainien », ont avancé, pour leur
seul pays, des chiffres fantaisistes : 7 à 15 millions de personnes
auraient été victimes d’un plan d’extermination. Mais celui-ci est complètement
imaginaire. Certes, l’Ukraine, pays paysan aux traditions nationalistes fortes,
et celles-ci sont perceptibles jusque dans le Parti communiste ukrainien, est
particulièrement visée, mais l’ampleur de la famine découle des méthodes de la
collectivisation et de la répression de la résistance acharnée de larges
couches de la paysannerie. Ce processus ne saurait en aucun cas être regardé
comme une variante du plan de liquidation nazi des populations slaves, dites
inférieures.
La famine touchera au total, dans toute l’URSS, 30 millions
de paysans ; 7 millions en périront. La propagande fait évidemment
tout pour le dissimuler. En août 1933, Edouard Herriot, invité en Ukraine
pour être présenté à des « travailleurs » choisis, s’exclame,
ironique : « Regardez-moi ces affamés [709] ! »
Croisant des poules, il y voit la preuve que la famine n’est qu’une fable ;
des affamés leur auraient depuis longtemps coupé le cou…
Malgré les épurations permanentes auxquelles il est soumis,
le Parti est secoué. L’appareil lui-même est loin d’être soudé derrière
Staline : à côté des despotes locaux qui mènent la collectivisation au pas
de charge en prélevant leur propre dîme au passage, d’autres renâclent et
doivent être mis au pas. Ayant fait place nette en éliminant des opposants en
pleine famine, Staline, au Comité central de janvier 1933, rompt avec le
demi-silence qu’il observait depuis dix-huit mois et dresse un bilan de
victoire en forme de litanie triomphale : « Nous n’avions pas de
sidérurgie, base de l’industrialisation du pays. Nous l’avons maintenant [710] . » La
rhétorique des antithèses, des « nous n’avions pas/nous l’avons maintenant »,
passe en revue l’industrie des tracteurs, l’industrie automobile, la
construction de machines-outils, l’industrie chimique, la fabrication de
machines agricoles, l’industrie aéronautique. Bilan à moitié faux et, donc, à
moitié vrai : une partie des entreprises n’existent que sur le papier ou,
inachevées, sont hors d’état de produire quoi que ce soit, une autre partie
fonctionne et produit en effet des marchandises bien réelles, mais avec un
pourcentage élevé de rebut. Aussi l’autre face de ce bilan triomphal est-elle
la chasse aux saboteurs.
Staline justifie la collectivisation en chantant la sublime
réalité, mais achève sur une menace : si « le processus d’appauvrissement
et de paupérisation à la campagne [dont il n’avait jamais parlé auparavant] a
été aboli », dit-il, « les faits de vol et de pillage massifs »
n’en existent pas moins. Et de dénoncer les « nombreux camarades qui
considèrent avec indifférence ce phénomène [711] »…
Pour rassurer son auditoire, il promet toutefois qu’au cours du prochain plan
quinquennal on pourra « cesser de cravacher le pays » et « diminuer
les rythmes insupportables de développement industriel [712] ».
En conclusion, il annonce un nouveau renforcement de l’appareil
répressif : « Le dépérissement de l’État ne se produit pas par l’affaiblissement
de la puissance étatique, mais par son renforcement maximum » qui vise à
écraser les restes des classes moribondes,
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