Staline
ne peuvent l’ignorer.
Ils cherchent pourtant à tirer parti de l’absence de Staline. La presse publie
le discours de Vychinski le 23 août. Le lendemain, le Bureau politique
dénonce « l’accusation injuste » portée contre les deux
commissariats. Staline, informé de ce vote par Molotov, qui lui apprend en même
temps qu’il prend un mois et demi de vacances au lieu des quinze jours prévus,
explose et qualifie de « hooliganisme » l’attitude d’Ordjonikidzé qu’il
accuse de vouloir « casser la campagne […] contre des productions
défectueuses. Comment as-tu pu lui céder ? ». Il soupçonne une
entente de ses lieutenants dans son dos : « C’est Kaganovitch qui
vous a roulés ? Visiblement il vous a roulés. Et pas seulement lui. »
Molotov veut prendre de longues vacances « pour fuir » Ordjonikidzé,
ainsi laissé sans contrepoids. Pourtant, persifle-t-il, « il est
impossible de laisser pour longtemps le Bureau politique et le Conseil des
commissaires du peuple à Kouibychev (capable de se soûler) et à Kaganovitch [716] ».
L’affaire lui tient à cœur : le 12 septembre, il y
revient dans une seconde lettre à Molotov, où il qualifie la conduite d’Ordjonikidzé
et de Iakovlev d’« anti-Parti ». Il les accuse de défendre ceux qui « violent
les décisions du Parti et du gouvernement » concernant les productions
défectueuses. Ainsi, « au lieu de se repentir de leurs péchés […] ils
soutiennent moralement les réactionnaires qui violent les décisions du Parti ».
Staline reproche aussi à Kaganovitch de « s’être retrouvé contre son
attente, sur ce point, dans le camp des éléments réactionnaires du Parti [717] », qui
trouvent donc des relais jusqu’au sein du Bureau politique ; en l’absence
de Staline, ils y obtiennent même la majorité. Malgré sa colère, Staline ne
demande pas au Bureau politique de revenir sur son vote. Ses lieutenants
disposent encore d’une certaine marge d’indépendance et il doit tenir compte de
leurs humeurs. Mais il va s’attacher à mettre fin à cette situation et s’y
préparer soigneusement pendant trois ans.
Les saboteurs imaginaires paient les pots cassés. Le service
de restauration sociale du Donbass n’a ni savon ni serviettes dans ses cantines
et ses cuisines. L’absence d’hygiène élémentaire multiplie les cas d’intoxication
alimentaire. Mais pourquoi acheter du savon et des serviettes ? Au début
de décembre 1932, le Guépéou arrête vingt serveurs et cuisiniers, deux d’entre
eux sont fusillés, les autres écopent de 5 à 10 ans de prison. Les
intoxications continuent…
La propagande plaque sur la réalité des statistiques
fantaisistes : un document du premier plan quinquennal prétend
ainsi : « Notre ouvrier soviétique a aujourd’hui un niveau de vie
supérieur à celui de Berlin et de Paris. » Dans son rapport politique au
XVI e congrès, le 27 juin 1930, Staline
déclarait : « Le salaire réel chez nous s’élève inébranlablement d’année
en année [718] »,
alors que, de 1928 à 1932, le niveau de vie moyen d’une classe ouvrière
affamée, jetée dans le tourbillon d’une industrialisation effrénée, a baissé de
moitié. La distorsion croissante entre le discours et la réalité engendre une
schizophrénie dont Staline, au sommet du pouvoir, est l’incarnation politique
achevée.
Mais le Guide pense déjà aux vacances prochaines. Alors que
s’ouvre la saison des semailles dans l’Ukraine et le Kouban ravagés par la
faim, il fait décider par le Bureau politique l’expulsion hors des districts de
Sotchi, de Touapsé, et des stations thermales de Mineralnye-Vody, de 5 000 familles,
qualifiées de koulaks pour l’occasion, avant le 15 avril, date,
précisément, où commence la saison des vacances… [719] Le repos des
nomenklaturistes n’a pas de prix.
Il commence aussi à préparer la relève politique en
promouvant des hommes nouveaux : Baguirov, président de la Tcheka, puis du
Guépéou d’Azerbaïdjan de 1921 à 1930, avait été exclu du Parti en 1921 sous l’accusation
de corruption et de mauvais traitements infligés à des détenus. Une fois
réintégré, il avait fait à nouveau l’objet, en 1929, des attentions de la
commission de Contrôle, présidée alors par Ordjonikidzé, pour « abus de
pouvoir ». Or, en 1933, Staline nomme ce personnage douteux premier secrétaire
du Parti communiste d’Azerbaïdjan et
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