Staline
lui
interdisant de sortir à pied, alors qu’il lui arrivait encore d’aller parfois
jusqu’à son théâtre préféré, le théâtre Tchekhov. Renouant avec une tradition
tsariste, il fait installer sur les lignes de chemin de fer, qu’il emprunte
rarement, des postes spéciaux à intervalles réguliers.
Le 21 au soir, à Blijnaia, il fête son anniversaire avec ses
proches : Molotov, Ordjonikidzé, Andreiev, Tchoubar, Vorochilov,
Manouilski, Enoukidzé, Mikoian, Beria, Lakoba, Poskrebychev, Kalinine et
mesdames, les familles Svanidzé, Redens, Alliluiev. On mange et on boit sec
jusqu’à une heure du matin, puis Staline sort un gramophone, choisit lui-même
les disques, et la compagnie danse. Les Caucasiens en groupe entonnent en chœur
des chansons de leur pays ; Staline, de bonne humeur, les accompagne de sa
voix de ténor. Maria Svanidzé est ravie : « Après ses deux lourdes
pertes [sa femme et Kirov], Joseph a beaucoup changé. Il est devenu plus doux,
plus gentil, plus humain. Jusqu’à la mort de Nadia c’était un héros de marbre
inaccessible, maintenant il étonne en particulier par ses actes humains, je
dirais même trop mesquins [762] . »
Il est, avec elle, aimable et hospitalier. Pour Alexandre Alliluiev, au
contraire, la mort de sa femme l’a encore plus isolé et durci.
CHAPITRE XX
Le matérialisme hystérique
Le procès de Nicolaiev et des treize « zinoviévistes »
est le premier d’une série qui s’étend sur les six premiers mois de 1935 et
révèle à la fois la volonté de Staline de frapper fort et une certaine
nervosité inquiète. Le 9 janvier 1935, la Conférence spéciale du
Guépéou condamne à la prison et à l’exil 77 Léningradois, dont 65 membres
du Parti, tous, sauf 8, anciens opposants, déclarés membres d’un mythique « Groupe
contre-révolutionnaire zinovieviste léningradois ». Le 16 janvier,
elle condamne 19 membres d’un tout aussi mythique « Centre de Moscou »,
dirigé par Zinoviev et Kamenev, jugés moralement responsables de l’assassinat,
à des peines de 5 à 10 ans de prison. Staline a de sa main établi la liste
des membres des deux groupes.
Au milieu de cette avalanche de condamnations, Staline
demande à Enoukidzé, président du Comité exécutif central des soviets, de lui
soumettre un autre schéma de refonte de la Constitution. Le 10 janvier,
Enoukidzé lui propose de remplacer le vote à plusieurs degrés par un vote direct.
Staline juge cette modification insuffisante et demande un projet à Molotov ;
le 25 janvier, dans une note aux membres du Bureau politique, il
affirme : la question « est beaucoup plus complexe qu’il ne peut
sembler au premier regard [763] ».
Il propose d’instaurer le scrutin direct et secret, en affirmant étrangement
que la situation et le rapport des forces sont favorables. En réalité, il veut,
par un habillage démocratique de la procédure électorale, donner à l’URSS un
visage plus acceptable pour les démocraties occidentales.
Ce jeu ne le détourne pas un instant de sa campagne
répressive. Le 17 janvier, il soumet au Bureau politique le texte d’une
circulaire confidentielle du Comité central aux secrétaires régionaux du Parti,
envoyée dès le lendemain, sur « Les leçons des événements liés au meurtre
scélérat du camarade Kirov », organisé, dit-il, par Kamenev et Zinoviev.
Il y ordonne le recensement de tous les membres du Parti ayant un jour exprimé
une quelconque réticence vis-à-vis de la « ligne générale » et en
organise la traque. Un millier d’anciens opposants de Leningrad sont exilés. En
Ukraine, les anciens militants trotskystes et zinoviévistes sont chassés des
grandes zones industrielles et des grandes villes.
Staline prolonge jusqu’en avril 1935 l’épuration du
Parti commencée en 1933, et qui devait s’achever en décembre 1934. À peine
l’opération terminée, il initie une procédure complémentaire de vérification
des documents des membres du Parti, tout juste passés au crible. Au Comité
central de décembre 1935, Iejov annonce que cette vérification a abouti à
une nouvelle charrette d’exclusions, touchant 18 % des adhérents (près de
350 000, soit, depuis le 1 er janvier 1933, 750 000 exclus,
souvent chassés de leur logement et de leur emploi). Le 14 janvier, au nom
du Comité central, Staline décide de faire en plus remplacer toutes les cartes
des militants et des membres stagiaires du Parti
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