Staline
une
bibliothèque constituent, là encore, le principal agrément de cette villa [748] .
CHAPITRE XIX
Mais qui a tué Kirov ?
Est-ce un remake de l’élimination de Roehm qui se joue alors
à Leningrad ? Le 15 octobre, des agents du NKVD interpellent un jeune
homme nerveux près du domicile de Kirov, le Premier secrétaire du parti
communiste de Leningrad, fouillent sa serviette, où ils trouvent un revolver,
et le relâchent. Rien d’étonnant à cela. Depuis la guerre civile, beaucoup d’anciens
partisans et de jeunes communistes possèdent un revolver, et celui de Nicolaiev
est dûment enregistré depuis 1924. Les gardes du NKVD ne savent pas que
Nicolaiev, récemment exclu du Parti, et dont la jolie femme à l’éclatante
chevelure rousse, Milda Draule, a été la secrétaire de Kirov l’année passée, a
écrit par deux fois à celui-ci pour réclamer sa réintégration. Kirov ne lui a
pas répondu ; Nicolaiev, pour se venger, rêve d’assassiner ce bureaucrate
dédaigneux.
Le 1 er décembre 1934, à quatre heures
et demie de l’après-midi, Kirov monte à son bureau de l’institut Smolny, avant
de prononcer un rapport aux cadres sur le récent Comité central ; l’officier
du NKVD chargé de l’accompagner, Borissov, traîne loin derrière lui. Nicolaiev
l’attend. Kirov le dépasse. Nicolaiev sort son revolver et l’abat d’une balle
dans la nuque. Kirov meurt sur le coup. Staline, immédiatement averti, dicte
deux heures plus tard à Kaganovitch un décret qui instaure une justice
expéditive : ordre est donné à l’instruction d’accélérer les procès des
individus accusés d’avoir projeté ou commis des attentats, le recours en grâce
pour ces crimes est supprimé, les sentences de mort seront exécutées dès le
prononcé du jugement. Puis il réunit les membres du Comité central présents à
Moscou. Le meurtre est d’emblée entouré d’une atmosphère de mystère.
Si on connaît le meurtrier, Nicolaiev, une victime aigrie du
régime, deux questions subsistent : a-t-il agi de sa propre initiative et
si oui, quel est le motif de son geste ? A-t-il été manipulé par quelqu’un
et si oui, par qui ? et dans quel but ? La Pravda du 12 février 1964
affirme qu’il s’agit d’un « assassinat prémédité et soigneusement préparé »,
mais se tait au moment de dévoiler l’identité du coupable.
Staline répond d’abord : Trotsky, puis Zinoviev,
Kamenev et leurs partisans. Les anciens opposants suggèrent ou désignent
Staline. Rykov murmure à sa fille : « A Piter on a tué Kirov. C’est
le signal du déchaînement de la terreur [749] . »
Aux Izvestia, Boukharine, blême, décomposé, informe Ilya Ehrenbourg de l’assassinat
et, un peu moins allusif, bafouille : « Vous comprenez ce que cela
signifie ? Maintenant IL pourra faire tout ce qu’il voudra avec nous… Et
il aura raison [750] . »
Le trotskyste Mouralov, plus net, dit à sa famille : « C’est un coup
monté par lui, c’est le signal que va venir la Saint-Barthélemy [751] . » La
rumeur populaire accuse Staline dans un quatrain en vogue :
Hé petites patates
Et petites tomates !
Staline a zigouillé Kirov
Dans un petit corridor.
Trotsky, lui, hésite et s’interroge. Il pense d’abord que
Staline a eu vent du projet de Nicolaiev et l’a utilisé pour l’impliquer, lui
et ses camarades, dans un « complot » terroriste. Le Guépéou devait
arrêter le terroriste avant son passage à l’acte puis révéler la tentative d’assassinat
et l’attribuer aux trotskystes, mais, par maladresse ou négligence, il aurait
laissé Nicolaiev aller jusqu’au bout. Plus tard, il se demandera si Nicolaiev a
tué Kirov pour une raison politique ou pour une femme. En avril 1938, il
se demandera encore s’il a « frappé consciemment pour venger les ouvriers
dont Kirov piétinait les droits [752] »,
par haine des bureaucrates. À cette époque, Trotsky qualifie toujours Kirov de « bureaucrate
de troisième ordre » ou de « fonctionnaire stalinien ». Il
rejettera jusqu’au bout la version de l’assassinat prémédité par Staline d’un
Kirov opposant.
Jamais crime, en tout cas, n’a été à ce point utilisé par
celui que la rumeur accuse. Staline se précipite à Leningrad, le soir du 1 er décembre,
avec un commando de choc : Vorochilov, Jdanov, Molotov, Iagoda, son
adjoint, Iejov, le guépéoutiste Agranov, le secrétaire des Jeunesses
communistes, Kossarev,
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