Staline
ensuite les deux issues possibles de la guerre prochaine. Si l’Allemagne
perd la guerre, elle se soviétisera, mais les vainqueurs écraseront l’Allemagne
bolchevique. Si l’Allemagne gagne la guerre, elle sera trop épuisée pour
attaquer l’URSS dans les dix années à venir et sera occupée à empêcher le
rétablissement des deux pays vaincus. Conclusion : « Il est de l’intérêt
de l’URSS […] que la guerre éclate entre le Reich et le bloc capitaliste
anglo-français. Il faut tout faire pour que cette guerre dure le plus longtemps
possible afin d’épuiser les deux parties. C’est pourquoi nous devons accepter
le pacte proposé par l’Allemagne [996] . »
Cette version du discours, avertissement clair aux démocraties, mêle des
éléments réels ou vraisemblables à des affabulations (la « soviétisation
de l’Allemagne », par exemple, destinée à convaincre Hitler de ne pas
prendre trop au sérieux ce communiqué.)
Tout s’accélère : le 20 août, un accord commercial
germano-soviétique est signé à Berlin. Au milieu de la nuit du 20 au 21, un
appel de Berlin tire Schulenburg de son lit et l’invite à transmettre d’urgence
à Molotov un message personnel assez sec de Hitler à Staline : Hitler
insiste pour que Staline reçoive Ribbentrop à Moscou le 22 août, ou au
pire le 23. S’appuyant sur la signature du traité de commerce pour réclamer la
signature d’un « pacte de non-agression », Hitler ne ruse pas. Il est
pressé, car « la tension entre l’Allemagne et la Pologne est devenue
insupportable […]. La crise peut éclater à n’importe quel moment [997] ». C’est
donc pour pouvoir tranquillement envahir la Pologne qu’il veut signer, et vite,
un traité avec Staline. Celui-ci donne son accord par retour, dans une lettre
aussi hypocrite que celle du chancelier nazi est cynique : la conclusion d’un
pacte de non-agression permettra de « liquider la tension politique et d’établir
la paix et la collaboration entre nos pays [998] ».
Hitler ne parlait pas de « collaboration ». Staline va donc plus loin
qu’il ne le demande. Cet empressement révèle le sentiment de faiblesse qui
hante Staline.
Le 21 août, à 22 h 30, Radio Berlin annonce l’accord
des deux gouvernements : « Pour conclure un pacte de non-agression.
Pour achever les négociations, le ministre des Affaires étrangères du Reich se
rendra à Moscou le 23 août. » Le 23 à midi, Ribbentrop atterrit en
effet à Moscou. Les négociations s’ouvrent au Kremlin à 15 h 30, dans
le bureau d’un Molotov flanqué de Staline, à la grande surprise du diplomate
allemand. La présence du Guide signifie en effet, dit le conseiller allemand
Hilger, que l’accord sera signé aujourd’hui ou jamais. Molotov et Staline n’ont
informé aucun membre du Bureau politique. Pendant la réunion, Khrouchtchev et
Vorochilov chassent le canard…
Trois heures après, l’accord est signé. Si l’on prend en
considération le temps nécessaire à la traduction, c’est une négociation
enlevée au galop. Ribbentrop a lu une courte proposition d’accord de vingt
lignes, rédigée par Hitler, qui propose à Staline un partage des territoires
baltes et de la Finlande en sphères d’influence, un nouveau partage de la
Pologne, et une discussion ultérieure visant à déterminer si le maintien d’un État
polonais indépendant correspond ou non aux intérêts des deux parties
signataires. Staline propose deux aménagements mineurs, dont l’inclusion de
deux ports lettons dans la sphère d’intérêt soviétique. Ribbentrop consulte
Hitler par télégramme, qui répond « D’accord ». L’essentiel – le
fond du protocole secret – est ainsi réglé en quelques minutes. Reste à
rédiger le pacte public de non-agression. Ribbentrop a préparé un discours
pompeux sur « l’amitié germano-soviétique retrouvée », qui suscite
chez Staline un sourire et un commentaire narquois : « Pendant des
années, nous nous sommes versé l’un sur l’autre des seaux d’ordures […]. Il
faut préparer progressivement l’opinion publique aux changements dans nos
relations que ce traité suscite [999] . »
Au gala, qui réunit le soir les comparses d’un moment,
Staline se montre très cordial. Il porte un toast à la santé du Führer : « Je
sais l’amour que la nation allemande porte à son Führer. J’aimerais donc boire
à sa santé. » Il en porte un autre à Himmler,
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