Staline
dans le roman de Panferov, Brouski. Un personnage y
affirmait que, dans le futur, on se rappellerait le nom de Staline comme celui
d’un ancien tyran. Certes, l’auteur de cette phrase sacrilège était un « ennemi
du peuple », mais, lors de la réédition du roman en 1937, la censure la
supprima, ainsi que l’affirmation d’un vieux bolchevik qui prétendait avoir
adhéré au parti cinq ans avant Staline. Elle censura également une scène
montrant Staline riant devant la noyade de paysans insurgés dans la rivière
voisine. Elle fit également disparaître l’affirmation du Guide selon laquelle
un communiste russe qui va à l’étranger n’a pas besoin de connaître une langue
étrangère. En revanche, en 1947, lors de la réédition du troisième tome de ce
roman, un Géorgien roué de coups par la soldatesque pour tentative de fuite, et
jusque-là resté anonyme, se verra honoré du nom de Joseph Staline. Les
exigences de la stature de héros varient en fonction de critères obscurs.
CHAPITRE XXIV
Poker menteur
Au début de janvier 1939, Berlin informe Moscou de son
désir de négocier les conditions d’un crédit à l’URSS pour lui permettre d’acheter
des équipements en Allemagne. Le 10 janvier, le plénipotentiaire
soviétique à Berlin, Merekalov, informe les Allemands que Moscou est prêt à
reprendre les discussions. Les deux parties signent un accord commercial qui
préfigure une entente plus large. Le 10 mars, au XVIII e congrès
du Parti, Staline abandonne publiquement l’antifascisme militant. Il ne fait qu’une
vague allusion désinvolte à la guerre d’Espagne et stigmatise la volonté des
démocraties occidentales de provoquer un conflit artificiel entre l’Allemagne
et l’URSS. Il dénonce les rumeurs répandues sur la volonté de l’Allemagne de
conquérir l’Ukraine avec pour seul but d’« exciter la fureur de l’Union
soviétique contre l’Allemagne, [d’]empoisonner l’atmosphère et [de] provoquer
un conflit avec l’Allemagne sans raison apparente ». Staline, en
contrepartie, dénonce les visées de l’Angleterre : « Il nous faut
être prudents et ne pas permettre que les provocateurs de guerre, habitués à
faire tirer les marrons du feu par les autres, entraînent notre pays dans des
conflits [993] . »
Méfiant sur la détermination des démocraties face à l’Allemagne nazie, il
répugne clairement à s’engager à leurs côtés, et esquisse un nouveau geste vers
Hitler.
À Londres, Churchill, qui craint plus Hitler que Staline,
insiste en vain sur la nécessité d’une alliance avec l’URSS contre Hitler :
« La Russie a tout intérêt à s’opposer à la poursuite de l’expansion de la
puissance nazie vers l’est. C’est sur cet intérêt, cet intérêt profond,
naturel, légitime, que nous devons nous appuyer », déclare-t-il une
nouvelle fois à la Chambre des communes, le 13 avril 1939 [994] . Le 17 avril,
Litvinov propose un projet d’accord précis liant la France, l’Angleterre et l’URSS
contre l’Allemagne. Londres diffère sa réponse, manière à peine déguisée de
dire non. Staline se tourne alors vers Hitler.
Le 27 avril, il convoque Litvinov dans son bureau. À
son côté, Molotov hurle et accable de reproches le commissaire aux Affaires
étrangères, qui sera bientôt démis de ses fonctions, le 4 mai 1939,
et que Molotov, précisément, remplacera. Molotov est en effet plus apte que son
prédécesseur, juif et partisan de l’alliance avec les démocraties, à tendre la
main à Hitler. Staline lui conseille d’ailleurs de « débarrasser son
commissariat de ses juifs ». Molotov s’en félicitera quarante ans plus tard :
« Heureusement qu’il me l’a dit ! Car les juifs formaient la majorité
absolue de la direction et des ambassadeurs. Ce qui est évidemment mauvais. Des
Lettons et des juifs. Et chacun en traînait une ribambelle derrière lui [995] . » Beria
fait incarcérer les deux tiers des collaborateurs du commissaire déchu. L’ambassadeur
allemand, Schulenburg, ne peut qu’apprécier la force du signal ainsi transmis à
Berlin.
Staline a-t-il déjà définitivement choisi entre Londres et
Berlin ? En tout cas, Londres ne déploie pas de grands efforts pour
obtenir une alliance, à laquelle le Premier ministre Chamberlain ne tient
guère. Dès le 9 mai, l’ambassadeur français à Berlin, Coulondre, informe
le Quai d’Orsay que Berlin bruit de rumeurs sur les propositions
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