Staline
peu de cas qu’il fait de son soutien
officiel à la Yougoslavie. Staline comprend le message et dément aussitôt ses
propos virils. Il décommande le banquet dont la tenue, dit-il, aurait
inévitablement « un caractère de défi provocateur [1058] ». On ne
saurait mieux s’aplatir devant la démonstration de force du Führer. Mais
Staline, après son initiative imprudente, n’avait guère le choix.
Le 10 avril, la Wehrmacht occupe Zagreb, et, le 13, les
ruines de Belgrade. Cette Blitzkrieg, qui contraste brutalement avec le
piétinement de l’Armée rouge en Finlande, plonge Staline dans un désarroi
furieux. D’autant que le rapport de Timochenko et Joukov sur l’aviation
soviétique est terriblement cruel : chaque jour, lors des exercices d’entraînement,
deux ou trois avions, en moyenne, s’écrasent au sol, ce qui fait, selon eux, de
600 à 900 avions dans l’année. Pour le premier trimestre (incomplet) de
1941, ils ont comptabilisé 71 catastrophes, 156 avaries diverses, la
mort de 141 pilotes et la mise hors service de 128 avions. Ils
proposent en conclusion de limoger le chef de la Direction principale des
forces aériennes, Rytchagov, dont, un an plus tôt, Staline saluait le jeune
talent révélé au cours de la guerre de Finlande, et de traduire en justice
plusieurs chefs d’escadrille. Staline avalise la liste des futurs condamnés et
y ajoute deux autres membres de la Direction des forces aériennes.
Les événements de Grèce ne peuvent améliorer son humeur
depuis que les 100 000 soldats de l’armée britannique se sont dérobés
face à la Wehrmacht : le 23 avril, l’armée grecque capitule et, le
25, le drapeau nazi flotte sur l’Acropole.
La campagne yougoslave a-t-elle sérieusement retardé l’attaque
de l’URSS par la Wehrmacht, qu’Hitler prévoyait initialement pour la mi-mai ?
L’état-major allemand avait retenu cette date pour permettre à la Wehrmacht de
conquérir les plaines de Russie centrale et d’Ukraine pendant que les blés
étaient encore verts et empêcher ainsi l’Armée rouge d’y mettre le feu dans sa
retraite. La mi-mai correspondait effectivement à cet objectif. Mais, en ce printemps 1941,
la pluie est tombée pendant tout le mois de mai et le début de juin sur la
Pologne soviétique et la Biélorussie, transformées en vastes étendues boueuses,
voire marécageuses. La promenade militaire yougoslave, puis grecque, qui a
détourné de la frontière soviétique quinze divisions allemandes, a certes
concentré sur les Balkans l’attention de Hitler et de son état-major pendant
près d’un mois, mais il n’est pas certain que l’offensive allemande aurait pu
se déployer avant que le soleil ait asséché les routes de terre qui forment l’essentiel
du réseau soviétique.
La Blitzkrieg yougoslave pousse Staline à multiplier
les initiatives. Pour se protéger à l’est, il signe le 13 avril 1941
un pacte de non-agression avec le Japon. Le lendemain, un banquet célèbre l’événement.
Les toasts succèdent aux toasts et, dans un geste inhabituel, Staline, à moitié
ivre, accompagne à la gare le ministre des Affaires étrangères japonais
Matsuoka, dans le même état que lui. Il donne l’accolade à plusieurs Japonais,
à l’ambassadeur et au ministre, empoigne le colonel Krebs de l’ambassade allemande,
et s’écrie : « Nous avons été amis avec vous et nous resterons
toujours amis avec vous. » En chemin, il a informé Matsuoka, dans une
confidence destinée plus à Berlin qu’à Tokyo, qu’il est « un partisan
convaincu des puissances de l’Axe et un ennemi de l’Angleterre et de l’Amérique ».
Matsuoka le répète à Schulenburg, que Staline cajole sur le quai de la gare ;
il le happe par les épaules et lui déclare : « Nous devons rester des
amis, et vous devez maintenant faire tout ce qui est en votre pouvoir pour cela [1059] . »
Schulenburg transmet aussitôt ce message et ces attentions prévenantes à
Berlin.
Le souci premier de Staline est toujours de ne pas irriter
Hitler. Le 20 avril, les membres du Bureau politique, après avoir admiré
des danses tadjiks au Bolchoï, se rendent au Kremlin. Staline a convoqué aussi
Dimitrov. Il annonce son intention de dissoudre le Comintern et abreuve le
Bulgare de motifs idéologiques : le temps du « communisme national »
est venu : « Il faudrait que les partis communistes ne soient plus
des sections du Comintern mais soient tout à
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