Staline
fait autonomes. Ils doivent se
transformer en partis communistes nationaux […]. Il est important […] qu’ils
résolvent de façon indépendante les tâches concrètes qui se posent à eux dans
leur pays. Or, la situation et les tâches sont très différentes selon les pays.
En Angleterre c’est une chose, en Allemagne c’en est une autre. »
Soulignant ensuite que l’Internationale a été créée sous Marx, puis le
Comintern sous Lénine « dans l’attente de la révolution internationale
prochaine », il insiste à nouveau sur la priorité des tâches nationales
dans chaque pays. Enfin, « l’appartenance des partis communistes au
Comintern, dans les conditions actuelles, facilite l’offensive de la
bourgeoisie contre nous dans ses plans pour les isoler des masses dans leur
propre pays [1060] ».
D’ailleurs, ajoute-t-il, on pourra un jour reconstituer l’Internationale. Cette
argumentation n’est qu’une couverture idéologique destinée à masquer le motif
réel : faire un geste de bonne volonté en direction d’Hitler. La
liquidation du Comintern signifie l’abandon officiel et public de la révolution
mondiale attachée à son nom, et donc l’abandon, réclamé par Hitler, de la « propagande
communiste » dans les pays tiers. Elle signifie, par ailleurs, le
renforcement du lien direct de chaque parti avec le Kremlin et de sa
subordination immédiate à ses besoins. Si les tâches des partis communistes
nationaux varient selon les pays, celle du PC allemand peut être demain d’apporter
un soutien critique au régime du Reich pour souligner la solidarité de Moscou
avec les puissances du pacte anti-Comintern. Le gage donné à Berlin doit être
camouflé. Aussi Staline demande-t-il à Dimitrov et à ses camarades, qui s’y
attellent dès le lendemain, de remplacer les fameuses vingt et une conditions d’admission
au Comintern de 1920 par de nouvelles. Le lendemain, Dimitrov, Togliatti et
Thorez, réunis, applaudissent la position de Staline.
Les services de renseignements soviétiques, soucieux à la
fois de répondre aux désirs du patron et d’éviter toute accusation de trahison,
ne dissimulent rien d’essentiel à Staline mais lui présentent des rapports « à
la carte », en lui laissant le choix d’y adopter ce qui lui convient le
mieux. L’historiographie khrouchtchévienne insistera sur la responsabilité
personnelle de Staline dans la catastrophe de 1941, dans la mesure où il est
resté obstinément sourd à des avertissements répétés et clairs, pour mieux
masquer celle d’un appareil qui a pourtant modelé son activité sur les désirs
et les préjugés du chef et, par là même, les a confortés.
Le tableau présenté par les services soviétiques confirme
Staline dans l’idée qu’il se fait de la situation depuis des mois : si l’état-major
allemand est animé de visées bellicistes, Hitler, hostile à la guerre sur deux
fronts, veut obtenir des concessions supplémentaires de l’URSS. Staline attend
donc, plutôt qu’une déclaration de guerre, un ultimatum qui ouvrira la voie à
des négociations. C’est d’ailleurs ce que lui affirme, à la mi-mai, l’agent Starchina :
« L’Allemagne présentera d’abord à l’Union soviétique un ultimatum
contenant des demandes d’exportation plus importantes vers l’Allemagne et l’arrêt
de la propagande communiste. Afin de satisfaire ces demandes […] plusieurs
régions ukrainiennes seront occupées par l’armée allemande [1061] . » Staline
affirme un jour à Joukov que les Allemands ont peur des Soviétiques et lui
cite, à l’appui de ses dires, les assurances données par Hitler à l’ambassadeur
soviétique à Berlin : les armées allemandes se concentrent en Pologne pour
y être entraînées à des tâches décisives à l’Ouest. Joukov ajoute : « Visiblement
Staline croyait à cette version, et c’est pourquoi il prenait avec une certaine
passivité toutes les mesures pour la défense du pays, pour le renforcement des
forces armées [1062] . »
Il est en même temps hanté par la crainte d’un armistice entre Londres et
Berlin qui délierait les mains à Hitler pour se lancer à l’Est.
À la mi-avril, plus de 200 divisions allemandes sont
alignées sur le front de l’Est. Le 21 avril, Churchill avertit Staline des
préparatifs de guerre d’Hitler contre l’URSS. Il ne lui apprend rien, mais le
confirme dans l’opinion que les Anglais, pour alléger la pression
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